Faire ses comptes à chaque rentrée peut avoir des allures de douche froide pour beaucoup d’étudiants. Entre le loyer, les courses alimentaires, les frais liés à l’énergie et les frais d’inscriptions… la facture devient rapidement salée.
En plus de ces dépenses, une majorité d’étudiants doit obligatoirement s’acquitter chaque année de lacontribution de vie étudiante et de campus (CVEC) au moment de leur inscription administrative dans un établissement d’enseignement supérieur.
Une participation financière parfois décriée. « 103 euros, c’est juste aberrant comme prix ! », s’esclaffe Enzo, étudiant en première année de master grande école à Excelia Business School.
Dans son traditionnel indicateur, la Fédération des Associations Générales Étudiantes (FAGE) affirme que le coût de la rentrée étudiante en 2024 s’établit à 3 157 euros. Un montant en hausse dû à l’augmentation du coût de la vie, des frais d’inscriptions, mais aussi de la CVEC, qui est indexée sur l’inflation.
« Je n’ai jamais su à quoi cela servait »
La contribution de la vie étudiante et de campus permet, selon les Crous – qui la collectent chaque année – de financer plusieurs services inhérents au quotidien des étudiants. Il s’agit notamment de l’accueil des néo-apprenants sur un campus lors des rentrées, la pratique d’une activité sportive et culturelle ou encore la garantie d’accès aux soins et autres aides en matière de santé.
J’AI PAYÉ MA CVEC, NE M’INVITEZ PLUS À SORTIR JE N’AI PLUS D’ARGENT.
I PAID FOR MY CVEC, DON’T INVITE ME OUT ANYMORE I DON’T HAVE ANY MORE MONEY.
PAGUÉ POR MI CVEC, NO ME INVITES MÁS A SALIR, NO TENGO MÁS DINERO.
AN PÉYÉ CVEC AN MWEN PA MANDÉ MWEN SÒTI ANKÒ, POCH AN MWEN VID.
— jojo (@jojoankazla) September 2, 2024
Toutefois, les étudiants se questionnent régulièrement sur son intérêt et évoquent d’office son tarif élevé. « Pendant toutes mes années d’études, je n’ai jamais vu de choses bénéfiques avec la CVEC », pointe Enzo, qui a payé la contribution pour la quatrième fois cette année. « Honnêtement, je n’ai jamais su à quoi cela servait », renchérit Maeva, 24 ans, en deuxième année de master en alternance à NEOMA Business School. L’étudiante a dû y contribuer pour la première fois, après avoir perdu son statut de boursière avec son apprentissage.
💡 Qui paye la CVEC ? Certains publics peuvent être exonérés de cette participation financière. Il s’agit, principalement :
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« Dans mon établissement, je vois qu’elle sert à financer certains projets des associations étudiantes », explique une étudiante de l’université Paris-Dauphine. « Après c’est relatif, car on a réalisé des demandes de subvention dans ma propre asso, mais l’argent ne provenait pas de la CVEC », ajoute-elle.
Des dispositifs pour favoriser les activités des campus
Pourtant, nombreux sont les établissements qui utilisent cette contribution à bon escient pour couvrir un grand nombre de projets pour leurs apprenants. En école de commerce ou de management, la CVEC a permis de déployer des services de santé et de proposer des services aux associations sportives comme culturelles qui semblent satisfaire les étudiants.
« La CVEC a été une vraie bouffée d’oxygène pour la vie étudiante », Paul Massart, directeur de la vie résidentielle et étudiante à l’ESSEC Business School
« La CVEC a été une vraie bouffée d’oxygène pour la vie étudiante », assure Paul Massart, directeur de la vie résidentielle et étudiante à l’ESSEC Business School. « Pour le sport, nous avons inauguré un nouveau gymnase et investi dans des équipements comme des tables de ping-pong. Nous avons aussi mis en place des services de bien-être, avec notamment une diététicienne qui intervient régulièrement dans l’établissement et répond à des besoins spécifiques », poursuit-il.
La contribution financière peut aussi intervenir sur des évènements ponctuels organisés par les écoles lors de temps forts pendant l’année. « Nous organisons par exemple un projet intitulé ‘Splash Projet’ qui consiste à amener nos étudiants dans des instituts médico-éducatifs ou des EHPAD. L’objectif étant de réaliser des travaux constructifs, comme la création de terrains de sport pour des jeunes en situation de handicap », explique Marie Courtois, directrice de l’expérience étudiante à l’ESSCA School of Management.
En école d’ingénieurs aussi, les projets étudiants financés par la CVEC ne sont pas en reste. Au sein de l’Efrei, qui regroupe plus de 60 assos estudiantines, une large palette de dispositifs est proposée aux jeunes, tout au long de l’année. « Comme nous sommes une école de numérique, il existe beaucoup d’associations tech. Nous avons par exemple un groupe appelé ‘Efrei Falcon’ pour initier les étudiants à la cybersécurité et l’utilisation de drones », affirme Clémentine Silengo, responsable de la vie associative et chargée du budget CVEC.
« C’est comme si on avait créé une petite entreprise » : à l’Efrei, des projets étudiants innovants
La CVEC récoltée par l'école vise à financer une plateforme pour que les étudiants puissent prendre rapidement un rendez-vous en ligne avec un médecin. « Une mesure particulièrement intéressante pour nos étudiants étrangers », argue la responsable de la vie associative. « Nous avons aussi une subvention pour le bureau des arts qui implique plusieurs associations artistiques en théâtre, musique et cinéma avec trois représentations par an et 70 élèves sur scène », ajoute-t-elle.
Au sein du campus lyonnais de CESI, la musique a aussi son importance grâce à la contribution des étudiants pour le club dédié. « Grâce à la CVEC, nous avons pu nous procurer des guitares acoustiques, des basses, des guitares électriques, une batterie, des amplis et des micros », précise Cyril Docquin, responsable vie de campus et expérience étudiante à CESI. L’école ingénieurs propose aussi un atelier photo, « avec tous les accessoires », ainsi que des formations aux gestes de premiers secours. « Ces formations se déroulent avec des pompiers et les étudiants sont sensibilisés aux gestes qui sauvent au quotidien », précise-t-il.
Un budget établi en amont avec les étudiants
Dans l’optique de déterminer les projets qui vont être déployés chaque année, les établissements élaborent un budget prévisionnel. En école de commerce, celui-ci est divisé en plusieurs parties pour répondre aux besoins. « Lors de la répartition de la contribution pour l’année 2024-2025, on a mis 35% pour l’accueil des étudiants, 35% pour le développement des projets sur les campus et 20 % sont réservés pour des projets spécifiques au groupe, comme des initiatives sur la santé et le bien-être », explique Marie Courtois. Les écoles gardent un petit pourcentage en réserve pour des événements ponctuels. À l’ESSCA par exemple, la CVEC finance des projets spécifiques comme le “Mois sans tabac”.
Les business school prennent des décisions de financements avec les associations étudiantes où des concertations sont organisées pour déterminer le budget de la CVEC. « Pour nous, c’est très important que cet argent soit dépensé en concertation avec les étudiants », insiste Paul Massart. «À l’ESSEC, une commission se réunit tous les trimestres pour discuter des projets et décider ensemble de l'utilisation de ces fonds. Le conseil de vie étudiante qui rassemble le directeur et les présidents d’associations étudiantes y participe également et c'est lors de cette réunion que le budget élaboré est validé », révèle le directeur de la vie résidentielle et étudiante.
Néanmoins, les écoles ne perçoivent pas la totalité de l’argent récolté par la CVEC. Ce sont les CROUS, propres à chaque académie, qui collectent les fonds de cette contribution obligatoire. Ces derniers redistribuent ensuite les sommes aux écoles et aux universités. Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les CROUS ont récupéré 167 millions d’euros grâce à la CVEC en 2023-2024.
Une partie de cette contribution est conservée par les CROUS, tandis que l’autre est redistribuée. Chaque CROUS a sa manière de procéder. « Les écoles et les universités peuvent demander à leur CROUS de référence pour avoir des financements via la CVEC », précise Marie Courtois. « À CESI, on doit soumettre des projets pour obtenir des subventions allant de 50 à 80% », indique de son côté Cyril Docquin.
Lors de chaque rentrée, les établissements du supérieur exposent à leurs apprenants tous les dispositifs qu’ils peuvent mettre en place grâce à la CVEC. « On est obligés, sinon ils pourraient avoir l’impression de payer un impôt sans en voir le retour », affirme le responsable de l’expérience étudiante de CESI. « Même ceux qui sont financièrement à l’aise peuvent parfois râler, car ils ne comprennent pas l’utilité de ces contributions », note la responsable de la vie association de l’Efrei. « Cela demande un peu de temps, mais nous faisons des efforts pour que le message passe ».
« Les bilans financiers de la CVEC sont peu clairs »
Dans le monde estudiantin, les positions sur la contribution de vie étudiante et de campus divergent. Si les écoles de commerce et d’ingénieurs accueillent volontiers cette participation et y semblent inféodées pour financer leurs projets, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer ce dispositif jugé coûteux. L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) s’oppose fermement à la CVEC, qu’elle qualifie « d’impôt national déguisé ». Le syndicat affirme que cette contribution « creuse un trou dans le budget » de la communauté estudiantine.
« Pour nous, la CVEC finance des choses que l’État devrait prendre en charge », étrille Clara Privé, trésorière à l’UNEF et élue du conseil d’administration du Cnous. « Lors des conseils du Cnous, les bilans financiers de la CVEC sont peu clairs. Certaines dépenses servent à financer des heures de consultation psychologique ou des équipements sportifs qui devraient être pris en charge par l'État dans le cadre des SUAPS », affirme-t-elle.Pour l’UNEF, « la contribution pallie le manque de financement public dans divers services comme la santé étudiante, au lieu de résoudre les vrais problèmes ».
En outre, le syndicat étudiant alerte sur l'augmentation croissante de la CVEC depuis sa mise en place en 2018, avec la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE). Il y a six ans, son montant était fixé à 90 euros pour arriver à 103 euros aujourd’hui. Mais les syndicats sont partagés sur le sujet. L’Union étudiante et l’UNEF souhaitent son abrogation, tandis que la FAGE souhaite conserver cet « outil et levier de promotion de la vie étudiante » et que son coût reste immuable.
La répartition de la CVEC entre les écoles privées et les universités suscitent des inquiétudes, tant du côté des syndicats étudiants que des établissements publics. Le 8 juillet dernier, un décret paru au Journal officiel a modifié cette répartition. Depuis sa création, la part pour les universités était plus importante. Désormais, tous les types d'établissements auront un montant identique, établi à 46 euros pour tout étudiant en formation initiale. En fonction du nombre d’étudiants, l’école ou l’université reçoit une part variable.
« Les écoles privées semblent parfois mieux utiliser la CVEC, avec des projets plus structurants et stratégiques. Mais cela montre à quel point le financement de la vie étudiante repose sur l’impôt étudiant, ce qui n'est pas tenable à long terme », Clara Privé, trésorière de l’UNEF.
À l’université Panthéon-Sorbonne, le maître de conférences en droit public, Paul Cassia, a déposé, dans le sillage de la publication du décret, un recours au Conseil d'État. La raison ? Il explique, sur son compte X, que le décret gouvernemental « augmente le financement public de l’enseignement supérieur privé, au détriment de l’université ». Un avis partagé par l’UNEF. « Les écoles privées semblent parfois mieux utiliser la CVEC, avec des projets plus structurants et stratégiques. Mais cela montre à quel point le financement de la vie étudiante repose sur l’impôt étudiant, ce qui n'est pas tenable à long terme », estime Clara Privé.
D’autant plus que de nombreuses universités de l’Hexagone font face, depuis deux ans,à des déficits importants. Selon l’AEF, le réseau des Vice-présidents Vie étudiante, de campus et universitaire (Vécu) a évalué l’incidence de ce décret sur le budget des facultés, notamment en termes de CVEC. Ils estiment une perte de 1,50€ par étudiant pour l’année universitaire 2024-2025 alors que la contribution a augmenté de 3% à la rentrée de septembre.
« Même si la CVEC représente un pourcentage infime des recettes de l’université, ces modifications viennent bouleverser le modèle économique lié à la CVEC, à un moment où 60 universités sont dans le rouge », explique Laurent Bordet, vice-président Vie étudiante et des campus à l’université d’Angers, dans les colonnes de l’AEF.
La trésorière de l’UNEF renchérit : « Dans les universités, alors qu’elles ont un gros problème de financement, une grande partie de la vie étudiante est financée par une subvention de charge du service public et le budget de l’État comme les Fonds de solidarité de développement des initiatives étudiantes (FSDIE) » .
La gauche veut tirer un trait sur la CVEC
La contribution financière annuelle a des effets d’aubaine pour beaucoup d’établissements qui l’ont intégré dans leurs modèles de financements. « Avec la CVEC, nous planifions des projets sur plusieurs années, avec un schéma directeur pour organiser les projets. Cela permet de faire des choses en plus qu’on n’aurait pas fait autrement », confie le directeur de la vie résidentielle et de l’expérience étudiante de l’ESSEC.
Dans la vie politique, et notamment à l’Assemblée nationale, la CVEC est aussi très discutée par les parlementaires. Le Nouveau Front populaire, coalition des partis de gauche, va dans le même sens que des syndicats étudiants comme l’UNEF et souhaite abroger cette contribution financière. Le député écologiste de la 6e circonscription de Loire-Atlantique, Jean-Claude Raux, a déposéun amendement en ce sens, suite « aux attentes fortes des syndicats » ainsi que pour « une réponse d’urgence » à la précarité étudiante. Dans le même temps, l’UNEF lance, ce jeudi 24 octobre, une pétition pour exiger la suppression de la CVEC.
L'UNEF lance une pétition pour exiger la suppression de la CVEC !
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— UNEF (@UNEF) October 24, 2024
Une nouvelle qui fait le bonheur des uns : « Il est urgent de supprimer la CVEC dans un contexte où la précarité étudiante est une problématique majeure en France, exacerbée par l’augmentation du coût de la vie, notre enquête annuelle le démontre », expose la trésorière de l’UNEF.
Mais qui ravit moins les autres : « Certaines organisations étudiantes critiquent la CVEC, la jugeant trop élevée. Toutefois, elle est essentielle pour améliorer les conditions de vie des étudiants sur les campus. Si elle venait à être supprimée, il serait difficile de compenser ce manque de financement », martèle la directrice de l’expérience étudiante à l’ESSCA.
Clémentine Silengo de l’Efrei explique, quant à elle, que l’école du numérique fait beaucoup de choses pour garantir le bien-être des étudiants, même sans utiliser la CVEC. « Nous avons la chance d'avoir une direction qui soutient l'engagement associatif des étudiants, mais cette contribution nous aide à offrir des actions de plus grande qualité », conclut-elle