Le 16 janvier 2023, la CDEFI (Conférence des directeurs des Écoles Françaises d’Ingénieurs) a lancé la 13e édition de l’opération Ingénieuses. À l’occasion, plusieurs projets d’écoles et portraits d’élèves et de femmes ingénieures investies dans la promotion de la mixité dans l’univers des sciences ont été présentés. Lors de la cérémonie de remise des prix le 11 mai dernier, l’association a dévoilé les lauréates du concours. Parmi elles, Léa Gaonac’h, lauréate du prix de l’élève-ingénieure France.
Étudiante en deuxième année de cycle ingénieur à Chimie ParisTech — PSL, option biophysique et matière molle, Léa est très active sur le plan associatif. Originaire de Bretagne, elle a mené plusieurs actions dans le but de contribuer à l’égalité des femmes et des hommes dans le monde de l’ingénierie. Son objectif ? Promouvoir la mixité et l’inclusivité dans un secteur qui tente tant bien que mal de s’ouvrir à toutes et à tous. Zoom sur son parcours !
Pourquoi t’es-tu dirigée vers des études d’ingénierie ?
Je fais des études d’ingénieurs spécialisées en chimie pour devenir ingénieure chimiste. Ce qui me plaît dans les sciences et l’ingénierie, c’est le fait de pouvoir accorder mes actions et mon travail avec mes valeurs, qu’elles soient écologiques et sociétales. La chimie, c’est de la recherche, et pouvoir trouver une solution à un besoin précis est très stimulant. Je ne viens pas du tout d’un milieu scientifique. Dans ma famille, personne n’a suivi le domaine des sciences, donc c’est notamment ma curiosité qui m’a amenée à emprunter cette voie.
Puisque tu parles de ta famille, t’a-t-elle toujours épaulée dans tes choix d’orientation ?
Mes parents n’ont pas eu le choix de leurs études, parce que justement ils n’ont pas eu le soutien de leurs parents. Quand ça a été leur tour, ils m’ont donc bien évidemment soutenue, quel que soit le parcours que je voulais emprunter. Ils m’ont toujours laissé le choix de ce que je voulais faire et d’apprendre seule le goût du travail.
Pourquoi avoir choisi Chimie ParisTech — PSL pour tes études supérieures ?
C’est une école qui propose à la fois des parcours pour la recherche et pour l’ingénierie. Puisque je ne voulais pas choisir entre les deux, j’ai opté pour cet établissement. Le programme est très bien construit, car nous avons des semestres généralistes, mais aussi des semestres plus spécifiques, qui permettent vraiment d’avoir un grand panel d’options et de connaissances. Chimie ParisTech me permet également de me former davantage en vue de mon projet professionnel après mes études, à savoir créer une start-up.
Quels sont tes projets après le cycle ingénieur ?
Après le cycle ingénieur, j’aimerais réaliser une thèse dans un sujet qui me plaît pour acquérir de l’expérience et mieux appréhender le monde professionnel avant de me lancer dans l’entrepreneuriat. En effet, j’aimerais par la suite fonder une start-up Deep Tech, dans le domaine de la santé ou dans celui de l’écologie. La Deep Tech consiste à prendre une innovation sortie d’un laboratoire et à développer cette idée pour la faire coïncider avec un besoin, pour ensuite la mettre sur le marché. L’idée est de co-créer ou porter soi-même un projet. Par exemple, un chercheur peut avoir une idée, mais ne pas avoir le temps de la développer. C’est là que la start-up intervient.
Comment est née ton envie de devenir ingénieure chimiste ?
J’ai choisi de me spécialiser en chimie, car cela permet de s’adapter au monde qui change avec tous les enjeux écologiques et contemporains. Ce qui m’intéresse aussi dans la chimie, c’est pouvoir agir pour la transition, car il y a quelques années la chimie n’était malheureusement pas très durable.
Selon la CGE, il n’y aurait qu’un peu plus de 30 % de femmes en école d’ingénieurs. Qu’en penses-tu ?
Je pense que c’est encore le cas, même si je suis dans une école où il y a une mixité parfaite, avec 50 % de femmes et 50 % d’hommes. Mais quand on regarde les différents domaines dans lesquels on est répartis, on se rend compte que cela se perd totalement. Toutes les branches de l’ingénierie et de la chimie ne sont donc pas concernées par la mixité.
Est-ce qu’être une femme a été un obstacle au cours de ton parcours ou, à l’inverse, un avantage ?
Je ne dirais pas qu’être une femme est un inconvénient dans les études d’ingénieurs, mais il faut se battre un peu plus. À l’heure actuelle, l’égalité parfaite entre l’homme et la femme, nous en sommes encore loin. Par exemple, dans le cadre de projets que j’ai pu mener, j’ai senti un a priori des clients, hommes ou femmes, pour qui j’ai géré des études, par le simple fait que je sois une jeune femme. Une fois, on m’a même dit que si j’allais réussir mes études, c’est parce que j’étais une fille et qu’il y avait des quotas à respecter.
Quelles actions mets-tu en place pour jouer en faveur de la mixité dans le monde de l’ingénierie ?
J’ai été binôme enseignante d’une classe d’éducation prioritaire pour des élèves de CE2, CM1 et CM2, avec une Fondation qui s’appelle « La main à la pâte ». Une après-midi par semaine, j’allais à leur rencontre pour leur montrer que le monde des sciences est accessible à tous. Il est important de faire comprendre aux plus jeunes qu’il faut déconstruire les stéréotypes de genre. Cette notion n’est pas acquise et beaucoup pensent encore que ce monde est dédié au genre masculin. La preuve, une jeune fille m’a demandé si moi-même je pouvais faire des sciences alors que je suis une femme. Cela vient aussi de l’éducation. Si les parents n’y croient pas, les enfants n’y croiront pas non plus.
À l’avenir, j’aimerais intervenir auprès de collégiens et de lycéens mais de manière différente, à savoir à travers ma participation dans des forums, par exemple.
Tu as été présidente de Chimie Perspectives. Peux-tu nous expliquer ce que c’est et quelles sont tes missions au sein de cette junior-entreprise ?
Je suis très engagée dans le monde des junior-entreprises. Celle de Chimie Perspectives m’a permis de prendre des responsabilités importantes en tant que présidente, toujours dans le but de prôner la mixité.
Parmi nos actions en faveur de l’égalité, nous avons commencé par le recrutement dans notre association, qui se devait d’être complètement mixte. Cette décision est survenue quand on s’est rendus compte que c’était souvent des personnes du même sexe qui occupaient des postes dans la junior-entreprise depuis sa création. Aujourd’hui, nous arrivons presque à la parité entre les présidents et présidentes.
À ce sujet, j’ai participé à une co-construction de charte pour la mixité auprès de la Confédération nationale des junior-entreprises (CNJE), qui a été signée avec plusieurs junior-entreprises. La signature de cette charte a placé Chimie Perspectives au rang de junior pilote pour la mixité. Je suis ensuite devenue auditrice-conseil à la CNJE pour conseiller ce type d’entreprises sur leur processus, puis formatrice pour les former.
Aujourd’hui, j’envisage de déposer une candidature pour m’engager auprès de la Confédération nationale et devenir responsable de développement, pour réaliser des formations et continuer d’apporter l’aspect inclusif et mixte dans le monde des junior-entreprises.
Peux-tu me citer d’autres projets que tu as menés au cours de ton parcours ?
Avec Chimie Perspectives, j’ai travaillé pour deux grosses boîtes en énergie. Le but était de les conseiller sur le choix d’un matériau et de les mettre en relation avec les étudiants de l’école, qui allaient ensuite réaliser l’étude et monter en compétences. Sur notre mandat, nous avons eu quatre clients du CAC 40. La gestion de projet était intense, mais l’expérience a été incroyable. C’est une réelle chance, à 21 ans, que de pouvoir échanger avec de réels experts du domaine de la chimie.
Nous avons aussi lancé une campagne de sensibilisation à la langue des signes française pour valoriser l’inclusivité dans le monde du travail ou encore organisé un événement de sensibilisation contre les violences sexistes et sexuelles.
Qu’est-ce qui t’a amené à participer au concours Ingénieuses ?
C’est mon école qui m’a incité à y participer. Ils m’en ont parlé, je me suis informée et j’ai vu que les différents dossiers fournis au concours étaient partagés à des lycéens. Je me suis donc dit que c’était une façon de poursuivre mes actions de sensibilisation auprès de lycéens et lycéennes qui auraient envie de se diriger vers les sciences.
Qu’est-ce qui, dans ton parcours, a marqué les Ingénieuses selon toi ?
Je dirais que c’est ma double casquette qui a attiré le jury. D’une part, il y a mes projets dans l’éducation et de l’autre, mon côté entrepreneurial, aussi bien avec les junior-entreprises qu’avec mes futurs projets professionnels.
©CDEFI / La remise des prix en présence du ministre de l’Économie Bruno Le Maire
Que représente ce prix pour toi ?
J’étais à la fois très étonnée et très contente, car il s’agit d’un accomplissement, aussi bien pour moi que pour ma mère, qui m’a permis de faire ce que je voulais réellement.
D’autre part, le vrai cadeau lors de cette cérémonie a été les rencontres que j’ai pu faire avec les autres nominées. Nous avons pu en savoir un peu plus les unes sur les autres et approfondir nos projets. Peut-être que plus tard nous en ferons même ensemble !
Enfin, en échangeant avec Julia Cantel, la lauréate du prix de la femme-ingénieure, j’ai compris que ce genre de prix est très porteur dans la carrière professionnelle. Celui-ci m’a également donné confiance et j’ai davantage envie de me lancer dans de nouveaux projets.
Selon toi, comment convaincre davantage les femmes de se lancer dans l’ingénierie ?
Si une femme souhaite suivre la voie des sciences et des enjeux de la mixité, il faut y aller et oser prendre le risque, car à la fin le résultat est toujours positif. Aujourd’hui, il faut profiter du fait que l’on puisse faire le choix de nos études. C’est ainsi que les stéréotypes vont finir par disparaître, puisqu’il y aura de plus en plus de femmes dans ce milieu.
Quant aux remarques par rapport à notre genre, soit on les relève, soit on passe outre pour ne pas se laisser impacter ! Quelquefois, les remarques sont inconscientes, car elles sont très ancrées dans la société. Il faut donc juste savoir ce qu’on veut, de quoi on est capable et croire en ce qu’on défend pour réussir.