Issue d’une classe préparatoire MPSI/PSI (maths, physique et sciences de l’ingénieur/physique et sciences de l’ingénieur) suivie au lycée Kléber de Strasbourg, Louise Baehr est aujourd’hui étudiante en troisième année de cycle ingénieur à l’IMT Nord Europe. Elle effectue un double diplôme en MSc Applied Physics à l’université de Limerick en Irlande. La jeune femme de 22 ans a su impressionner le jury du concours Ingénieuses avec les divers projets menés depuis son intégration dans les études supérieures d’ingénierie, visant à promouvoir et donner de la visibilité au métier d’ingénieure.
Entre présidente de comités, cheffe de projet mené en partenariat avec les associations Femmes Ingénieures et Elles Bougent Nord–Pas-de-Calais, ou encore vice-présidente du bureau des élèves de l’IMT Nord Europe, Louise a un parcours étonnant qui a le mérite d’être récompensé. Ce n’est pas sans raison que le concours Ingénieuses, dans le cadre de son combat pour la valorisation des femmes dans le secteur de l’ingénierie, a décidé de lui remettre le prix de l’élève-ingénieure France. Zoom sur ses choix, ses actions menées, ses ambitions et ses conseils !
Pourquoi avoir opté pour des études d’ingénieurs ?
Je pense que c’est parce que mes parents sont dans ce domaine. Ma mère fait de l’optique et mon père est physicien. Depuis toute petite les sciences me passionnent, notamment la physique. Cependant, j’ai compris que je voulais être ingénieure beaucoup plus tard, car, selon moi, il y a un réel manque de promotion du métier d’ingénieur, et pas seulement chez les filles. En réalité, ingénieur, on ne sait pas trop ce que ça veut dire. Je pense donc qu’il faudrait montrer plus de fiches métiers aux lycéens sur les différents types d’ingénieurs qui existent, à savoir l’ingénieur cosmétique, l’ingénieur aéronautique, l’ingénieur agricole…
Pourquoi as-tu choisi d’intégrer IMT Nord Europe ?
Je n’avais pas le niveau pour intégrer les ENS ou les écoles d’ingénieurs prestigieuses. Je suis donc partie vers une école d’ingénieurs généraliste qui était à ma portée. À IMT Nord Europe, l’avantage c’est qu’il y a énormément d’options comme numérique, énergie environnement, matériaux… Cela m’a plu, car je savais que j’allais avoir le temps de choisir l’option qui me convenait.
IMT Nord Europe a également beaucoup de partenariats à l’étranger, ce qui était important pour moi, car je voulais absolument avoir une expérience à l’étranger pendant mes études. Pour mon parcours, j’ai choisi la filière mécanique et matériaux, mais je me suis rendue compte que cela ne me plaisait pas vraiment et que la physique me manquait. Grâce aux partenariats de l’école, j’ai donc pu trouver ce MSc à l’université de Limerick qui m’a permis de refaire de la physique appliquée.
« Je dirais que quelqu’un de moins bon en maths peut parfaitement être un ou une très bon(ne) ingénieur(e) dans son domaine et dans sa définition du métier. »
Comment s’organisent les cours de ton MSc Applied Physics à l’université de Limerick en Irlande ?
J’étais en Irlande jusqu’à la semaine dernière, mais comme je ne fais que de l’informatique et du code, j’ai demandé à poursuivre mon master à distance pour économiser sur le loyer, sur la vie de tous les jours et pour être plus proche de ma famille.
Je suis donc rentrée en France et je retourne en Irlande en août pour échanger une dernière fois avec mon tuteur et présenter ma soutenance. C’est une expérience incroyable. Je ne regrette pas du tout mon choix d’avoir suivi le master en Irlande, car j’ai découvert une nouvelle culture, un nouveau campus, de nouveaux paysages… Cette immersion dans une université étrangère m’a également permis d’améliorer mon anglais, ce qui est un avantage considérable pour plus tard.
Comment as-tu découvert le métier d’ingénieur ?
J’ai découvert le métier directement en école d’ingénieurs, en échangeant avec les élèves, avec les professeurs, lors des forums d’entreprise… Comme j’étais plongée dans le monde de l’ingénierie, je me suis rendue compte qu’il y avait des ingénieurs dans tous les secteurs, que toutes les entreprises avaient besoin d’un ou d’une ingénieur(e) à un moment donné. Ce métier engage beaucoup de compétences transversales.
Avec la réforme du baccalauréat, les écoles d’ingénieurs sont très inquiètes du niveau en mathématiques des élèves. Quel est ton rapport avec les maths et sont-elles essentielles pour réussir des études d’ingénieur ?
Les maths telles qu’on les voit en classe préparatoire sont bien différentes de celles du niveau ingénieur. Parce qu’au niveau ingénieur, les maths représentent vraiment des outils. En prépa, on bosse pour des concours. Le niveau des maths est donc beaucoup plus élevé qu’en école d’ingé. Attention, cela peut dépendre des écoles, mais pour ma part j’étais meilleure en maths en école d’ingénieurs qu’en prépa. Ma confiance en moi est donc revenue en cycle ingénieur plus tard, quand je me suis rendue compte que j’avais d’autres compétences.
Niveau des élèves en mathématiques : les écoles d’ingénieurs tirent la sonnette d’alarme
Par conséquent, ce n’est pas parce que je n’étais pas la meilleure en maths en ou physique que je ne pourrais pas devenir une bonne ingénieure. Je dirais que quelqu’un de moins bon en maths peut parfaitement être un ou une très bon(ne) ingénieur(e) dans son domaine et dans sa définition du métier. Il ne faut donc pas se décourager parce qu’on se trouve nul en sciences, car notre niveau en maths ne définit pas notre capacité à exercer le métier d’ingénieur.
« Le sexe masculin n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le sexe fort. »
Au sein de ton école et en dehors, quelles actions mènes-tu pour l’égalité femmes/hommes dans le monde de l’ingénierie ?
En L3, donc dès que je suis arrivée en école d’ingé, j’ai mené un projet ouvert tout au long de l’année, #JeSuisIngénieurE. Nous allions dans les collèges et lycées pour promouvoir le métier d’ingénieur et lui donner de la visibilité auprès des jeunes filles. Nous prenions des fiches métiers avec nous et discutions avec les élèves sur chacun d’entre eux.
Ensuite, en M1, je me suis intéressée aux violences sexistes et sexuelles, dont j’ai souvent été témoin. J’ai décidé de créer un questionnaire que j’ai publié sur le groupe des étudiants, pour prendre un peu la température et avoir des retours sur le sujet. Ce questionnaire a réellement bien marché et je me suis rendue compte qu’il se passait des choses dans l’école. Avec deux amies, nous avons alors décidé de créer le comité « Lutte contre les violences sexistes et sexuelles », nommé EGAL’IMT. Nous avons vite été catégorisées comme des féministes qui exagèrent, mais finalement notre travail tout au long de l’année a servi. Nous avons accompagné des victimes, fait remonter des faits, et même des cas de signalements qui ont mené à des exclusions et des sanctions.
Par la suite, nous avons fait un reportage sur le sexisme en école d’ingénieurs, avec l’intervention de professeurs, de sociologues, de psychologues… Celui-ci se trouve sur la chaîne YouTube EGAL’IMT et s’intitule ingénieurE. Toutes mes participations dans ces comités servent à montrer que le sexe masculin n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le sexe fort.
Ton école propose-t-elle des outils pour favoriser la parité dans le monde de l’ingénierie ?
Maintenant, les choses changent. Mon école a lancé le projet REVERTO, qui est un casque de réalité virtuelle qui sensibilise les étudiants et étudiantes au consentement. En parallèle, il y a toujours le comité EGAL’IMT qui poursuit sa sensibilisation auprès des étudiants toute l’année. De plus, le réseau IMT a mis en place une plateforme anonyme de signalement, opérationnelle à partir de septembre 2022, pour que les victimes puissent signaler un quelconque problème. Enfin, un psychologue sera de façon permanente à l’école pour parler avec les victimes ou les étudiants en général.
Pourquoi avoir participé au concours Ingénieuses ?
J’y ai participé un peu par hasard. Une des responsables de l’administration a envoyé le lien de candidature, j’ai fait le bilan de tout ce que j’ai fait jusqu’à présent et je me suis dit pourquoi ne pas tenter. J’ai donc décidé de mettre en avant mon parcours, mon profil, qui je suis et ce en quoi je crois.
Qu’est-ce qui, dans ton parcours, a marqué les Ingénieuses selon toi ?
Quand j’étais en L3 avec le projet #JeSuisIngénieurE, nous avons candidaté au prix du meilleur projet des écoles d’ingénieurs par les Ingénieuses et nous avons été nominées, sans gagner le prix. Depuis, le jury a suivi mon engagement dès mon arrivée en école d’ingénieurs, donc c’est peut-être cela qui a joué. Je ne suis pas meilleure que les autres, mais ils ont sûrement souligné le fait que mon investissement est constant.
Justement, qu’as-tu pensé du parcours des autres nominées ?
Elles ont des parcours incroyables et le jury a dû avoir beaucoup de mal à nous départager. Clara Wang-Wah venait de L’École de l’air. C’était impressionnant, car justement on associe l’armée aux hommes, alors qu’elle portait très bien l’uniforme et était très charismatique. Carole Joly, des Arts et métiers, avait une réelle présence et un parcours extraordinaire. Elle est la référente des violences sexistes et s’engage pour résoudre les problématiques liées aux stéréotypes de genre. Sophie Der Agobian, de Polytech Nice, était présidente du BHE (Bureau Humanitaire et de l’Environnement) et a mené de nombreux projets pour l’égalité des genres…
« À aucun moment je ne me suis dit que je ne pourrais faire quoique ce soit parce que je suis une femme. »
Que représente ce prix à tes yeux ?
C’est de la reconnaissance. J’étais déjà très heureuse lors de la nomination. Ce sont plusieurs projets menés et qui je suis qui ont été récompensés. Je me rends compte que je ne suis pas seule, que ce que je fais est utile. Ce prix montre que mon engagement est reconnu et qu’il n’est pas en vain. Le fait que les Ingénieuses, et donc la CDEFI, reconnaissent le travail que j’effectue au sein de mon école me motive encore plus à continuer et à aller de l’avant. Je vais redoubler d’efforts et poursuivre dans cette voie.
Quels sont tes projets après le cycle ingénieur ?
Plus tard, j’aimerais devenir ingénieure physicienne. Ce qui me plaît c’est la physique et mon mémoire porte sur la microscopie optique. J’aimerais bien commencer ma carrière par un stage en travaillant dans le pôle R&D d’une entreprise de physique, si possible optique ou biomédical plus généralement. Je veux que mon métier soit éthique, ait du sens et ait un impact positif dans la société.
Est-ce qu’être une femme a été un obstacle au cours de ton parcours ou, à l’inverse, un avantage ?
Je n’ai pas subi d’obstacles liés à mon genre. À aucun moment je ne me suis dit que je ne pourrais faire quoique ce soit parce que je suis une femme. Toutefois, j’ai été témoin de camarades de promo qui ont subi des violences dans leurs stages, qui étaient dans un climat sexiste. Il y a des cas graves de harcèlement et d’agressions, malheureusement les victimes n’en parlent pas toujours, voire jamais.
Même si rien ne m’a marquée personnellement, j’ai accompagné des victimes de violences sexistes, donc je sais que ça existe réellement. C’est pourquoi je souhaite sensibiliser les jeunes nouveaux ingénieurs, les inciter à ne pas avoir ce comportement et faire parler les victimes pour montrer que ce n’est pas normal.
Selon toi, pourquoi les femmes ne devraient pas hésiter à devenir ingénieures et comment les convaincre davantage ?
Les filles ont tendance à croire que les garçons sont meilleurs en maths qu’elles, mais ce n’est pas forcément le cas. Il faut oser et postuler dans les écoles d’ingénieurs ou en prépa. Il est important de se rappeler que les études d’ingénieurs ne se limitent pas aux maths. Une fois dedans, on trouve sa voie et tous les secteurs ont besoin d’ingénieurs, surtout avec les enjeux actuels. Il y aura forcément une place pour tout le monde, peu importe le niveau et le domaine.
Le secteur a besoin de diversité. Nous devrions tous être libres de choisir et c’est sûrement l’éducation genrée que l’on reçoit depuis l’enfance qui nous en empêche. Je veux donc dire aux filles d’être curieuses, de s’intéresser à plein de choses et ne pas se cantonner à ce que l’on voit ou pense sur le sexe féminin.