C’est un fait : les jeunes filles délaissent les études d’ingénieurs. En 2019, 45.000 femmes étaient inscrites dans une formation ingénieur, selon les données de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi). À l’échelle nationale, cela ne représente que 28 % des effectifs.
Ce chiffre inquiétant ne prend pas encore en compte les effets de la réforme du lycée et du bac. La suppression des mathématiques dans le tronc commun au lycée pourrait aggraver davantage la situation, car les filles se détournent de la matière. En effet, avant la réforme, les terminales S comptaient presque une moitié de filles (48,4 %), qui faisaient des mathématiques à un niveau intensif. En 2021, les lycéennes n’étaient plus que 38,6 % à opter pour une spécialité mathématiques.
Conséquence, les écoles d’ingénieurs peinent à recruter des profils féminins. Pour les attirer davantage, établissements, acteurs de l’enseignement supérieur et associations travaillent ensemble pour susciter l’intérêt des jeunes filles pour les carrières scientifiques et d’ingénieurs. L’association « Elles Bougent », créée en 2005, a pour objectif de faire découvrir ces métiers ou secteurs souvent stéréotypés masculins. Le collectif peut compter sur de nombreux partenaires : des entreprises, des écoles supérieures, des fédérations, des politiques ou encore des institutionnels.
« Le constat fait qu’on n’arrive pas à attirer ces talents féminins, car dès le départ les jeunes filles ne se projettent pas ou ne s’identifient pas dans certains secteurs d’activité et métiers », alerte Amel Kefif, directrice générale de l’association. « Notre objectif, c’est de déconstruire tous ces stéréotypes de genre, induits ou inconscients, sur des métiers ou des secteurs d’activité, auprès des collégiennes, lycéennes et étudiantes », ajoute-t-elle.
Des événements pour favoriser la parité et susciter des vocations
Elles Bougent compte plus de 8.000 marraines présentes en grande partie sur le territoire national. Ces femmes ingénieures, techniciennes ou issues d’un secteur scientifique ou technologique ont pour mission de témoigner auprès des jeunes filles lors d’événements ou d’ateliers. De l’ingénierie à l’aéronautique en passant par le numérique, les marraines d’Elles bougent exercent dans de larges secteurs porteurs et espèrent rassurer les jeunes filles sur leurs ambitions de carrière. « Nous organisons 500 événements toute l’année qui permettent à 40.000 jeunes filles de pouvoir être touchées par un rôle modèle en France et dans le monde », affirme Amel Kefif.
Le 7 avril dernier, l’association a organisé un événement intitulé « Elles bougent pour le numérique ». Les marraines ont ainsi ouvert leurs sites à des jeunes filles, du collège à l’enseignement supérieur, pour les accueillir et leur faire découvrir leurs professions directement sur le terrain. « L’association les a mobilisées pour la visite des sites et découvrir les métiers du numérique dans des secteurs d’activité dans lesquels on n’imagine pas du tout qu’il y a du digital », confie la directrice générale.
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Dans le même exemple, le collectif organise, avec le comité de pilotage national du ministère de l’Économie, une semaine dédiée à la découverte des métiers de l’industrie. « Elles bougent va être garante d’événements destinés à la féminisation des secteurs industriels. En 2021, nous avons eu la chance d’organiser 84 événements dans l’Hexagone qui ont permis d’accueillir des milliers de jeunes filles durant cette semaine-là », se réjouit-elle.
En plus des événements, l’association joue un rôle majeur sur l’orientation et le recrutement des jeunes filles. Le forum « Réseau et carrières au féminin » est un rendez-vous annuel de recrutement 100 % dédié aux femmes, afin de les aider à trouver un emploi, un stage ou une alternance. « Nous allons mobiliser des étudiantes, des jeunes diplômées, des femmes en recherche d’emploi ou en reconversion professionnelle pour qu’elles puissent travailler leur réseau », explique-t-elle, avant de poursuivre : « Il y a aussi des échanges, des ateliers RH sur “Comment négocier son salaire ?”, sur la rédaction de CV, la préparation à un entretien d’embauche… »
Changer les mentalités dans les disciplines mathématiques et scientifiques
Pour Amel Kefif, si les filles ne sont pas toujours attirées par les métiers scientifiques ou d’ingénierie, c’est qu’on leur met souvent des bâtons dans les roues dès l’enfance. « Quand on s’étonne qu’une fille a de bonnes notes en mathématiques notamment », remarque-t-elle. En somme, les filles vont se mettre plus la pression que les garçons, se dire que les mathématiques sont trop compliquées et pas faites pour elles. C’est pour cette raison, selon la présidente d’Elles bougent, que les filles ne choisissent plus la discipline en classe de première, car « elles n’ont pas 16 de moyenne ».
Ainsi, remettre l’enseignement des mathématiques dans le tronc commun au lycée est primordial, admet la directrice générale de l’association. « C’est parce qu’il y avait des maths obligatoires à raison de 6 h par semaine qu’on avait atteint à peu près une parité en terminale scientifique et qui a disparu en 3 ans. C’est 25 ans de travail qui ont malheureusement été anéantis », déplore-t-elle.
L’idée, c’est d’attirer les jeunes filles vers les mathématiques sans stigmatiser. C’est ce que préconise Nathalie Sayac, professeure des universités, dans une tribune du Monde adressée à Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’Éducation nationale intitulée : " Monsieur le ministre, donnez une place aux maths pour tous". La directrice de l’Inspé de Normandie Rouen-Le Havre explique que les jeunes filles ont moins confiance en elle en mathématiques que leurs camarades masculins et que le choix des spécialités et des options au lycée relève de leurs personnalités. « Il est certes difficile d’encourager sans stigmatiser, mais un devoir de vigilance s’impose pour contrer les stéréotypes de sexe inconsciemment à l’œuvre dans les pratiques, les discours ou les écrits, surtout quand il s’agit de prescriptions institutionnelles », peut-on lire dans la tribune.
Il est également nécessaire de changer les mentalités au niveau du professorat, qui ont des méthodes visant à favoriser les élèves masculins dans les matières scientifiques. « Les études l’ont prouvé à plusieurs reprises et même à l’international, les professeurs sont plus enclins à donner la parole aux garçons en cours de maths et sciences qu’aux filles », insiste Amel Kefif. Pour déconstruire les stéréotypes aussi bien chez les parents d’élèves que chez les professeurs, le chemin est encore long.
Les écoles d’ingénieurs jouent aussi le jeu
Les associations ne sont pas les seules à lutter contre le phénomène. Les écoles d’ingénieurs se mobilisent aussi et multiplient les actions pour attirer les jeunes filles dans l’ingénierie et favoriser la parité. CESI, école d’ingénieur et membre d’Elles bougent, ont développé des plans d’action pour inciter les jeunes filles à se tourner vers l’ingénierie. « Nous avons des plans liés à la question de la féminisation de l’école, car il n’y a pas de sexualité dans les sciences, pas de rapport et pas de déterminisme », précise Morgan Saveuse, directeur des études à CESI.
Niveau des élèves en mathématiques : les écoles d’ingénieurs tirent la sonnette d’alarme
« Les mathématiques, c’est une science féminine, j’en suis un exemple et le fait de dire le contraire est un cliché », confie de son côté Mounaa Daadaa, enseignante de mathématiques à l’Efrei. « Pendant les journées portes ouvertes de l’école, nous mettons en place des dispositifs pour favoriser la parité. On donne des exemples de femmes qui réussissent dans le domaine des sciences », poursuit-elle. « À Efrei, on est très sensible à ça. Faire en sorte de couvrir tout le monde, que ce soit mixité ou parité, c’est très important ».
Bien que le nombre de jeunes bachelières qui s’inscrivent en école d’ingénieurs tend à baisser, les responsables pédagogiques et acteurs de l’enseignement supérieur rassurent et affirment qu’elles ne doivent pas renoncer à leurs ambitions. La présidente d’Elles bougent encourage donc les jeunes filles en leur faisant passer un message : « Soyez ouvertes sur des secteurs d’activité dont on ne vous a jamais parlé, car ils offrent beaucoup d’emplois, très bien payés, en CDI et c’est une véritable aubaine à saisir. Dans cette partie-là en France, on est vraiment dans le plein emploi ».