« J’avais besoin de croire que la vie que je m’étais imaginée restait envisageable. » Vincent est atteint de troubles du spectre autistique (TSA) depuis son plus jeune âge. Éprouvant quelques difficultés liées à son autisme, la scolarité du jeune homme a souvent été interrompue. Mais, sa persévérance et son envie d’atteindre ses objectifs l’ont poussé à poursuivre ses études dans un domaine qu’il apprécie tant : le droit.
Le TSA est un ensemble de troubles neurodéveloppementaux. Ils se caractérisent notamment par des dysfonctionnements dans les interactions sociales, la communication et les comportements.
Il y a quelques années, le jeune homme fait donc le choix de reprendre ses études là où elles avaient dû être arrêtées et valide un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) à l’Université de Lorraine. Il y effectue également une licence de droit, avant de poursuivre en master à l’Université de Poitiers.
Persuadé qu’il a les capacités de réussir, tout comme les autres étudiants, Vincent n’a presque jamais recours aux aménagements auxquels il a droit. Malgré quelques difficultés, il s’en sort toujours. Pourtant, au cours de son parcours, tout ne se passe pas comme prévu. L’étudiant vit des injustices, qu’il nous raconte.
En tant que ESH, as-tu rencontré des difficultés au cours de ton parcours scolaire ?
À l’issue de ma licence, et vu les difficultés grandissantes, j’étais conscient que ma place était de moins en moins dans une scolarité classique et que toutes les facultés ne seraient pas nécessairement aussi bienveillantes. J’ai donc fait un choix difficile : abandonner l’idée de m’inscrire dans un master en rapport avec mon projet, au profit d’un master dispensé à distance. En l’occurrence, il s’agissait du Master Administration Publique de la faculté de Poitiers, dont les cours étaient dispensés par le CNED [Centre national d’enseignement à distance].
As-tu eu l’expérience de discriminations pendant ton parcours scolaire ?
Oui, et malheureusement pas des moindres. Les examens avaient lieu, au choix de l’étudiant, sur un des deux centres disponibles. Dès l’inscription, il nous a été indiqué que les ESH disposant d’aménagements n’auraient, eux, pas le choix.
J’ai donc décidé de passer mes examens du mois de juin dans un centre situé à Paris. Les autres étudiants reçoivent leur convocation aux examens, ainsi que le planning des épreuves, mais pas moi. Après plusieurs relances, je finis par recevoir le document. Surprise : mon planning ne tient pas sur la semaine d’examen communiquée, mais sur 4 jours de plus.
Mon logement sur Paris n’étant pas disponible sur ces dates, j’annule, et me retrouve, peu avant les examens, à devoir trouver en catastrophe un logement accessible tant à mon handicap qu’à mes finances. Finalement, le logement n’est pas adapté et est loin du centre d’examen, mais je n’ai plus le temps de trouver mieux.
L’idée de perdre une année de plus m’angoisse chaque jour davantage, mais je ne me laisse pas abattre.
Les examens commencent et vient un sujet que je suis totalement incapable de traiter. De retour chez moi, j’ouvre mon cours pour chercher les notions que j’avais visiblement ignorées. Je ne les trouve nulle part. Elles n’ont pas été étudiées cette année.
Je me rends sur le groupe WhatsApp de ma promo, pour comprendre ce qu’il s’est passé. Résultat : ils n’ont pas eu ce sujet. Ils ont composé sur un sujet quasiment identique au devoir que nous avions traité via le CNED et dont les corrections personnalisées nous avaient été transmises. On compare alors, pour s’apercevoir qu’aucun de mes sujets n’est identique au leur.
Comment as-tu réagi à ces erreurs ?
Je crois de moins en moins au bon déroulement de mes examens, mais j’arrive encore à me dire « ça arrive », l’administration fait certainement ce qu’elle peut. Je prends la décision de l’informer le plus tôt possible, pour sauver un maximum d’épreuves, et de contacter le service handicap de la fac.
Le responsable de l’organisation des examens me répond que c’est normal, qu’ils ont dû décaler mes épreuves et que je dois donc composer sur des sujets spécifiques. Je lui explique le problème, mais il me dit que ce n’est pas lui qui fait les sujets et que si ça ne me convient pas, je dois voir directement avec la direction du centre d’examens.
Plus tard, je reçois un courriel du service handicap m’indiquant que ce n’est pas de son ressort. Il me redirige également vers la direction. Pris d’angoisse, j’obtiens un certificat médical de mon médecin m’excusant 1 à 3 jours pour que je puisse gérer le moment de ma reprise. Je reviens donc en fin de semaine pour la dernière épreuve orale. Surprise : je ne fais pas partie des étudiants convoqués.
Je suis fier de me battre et de refuser d’accepter l’inacceptable.
L’idée de perdre une année de plus m’angoisse chaque jour davantage, mais je ne me laisse pas abattre. J’envoie l’ensemble de mes justificatifs d’absence au service de scolarité, ainsi qu’un courrier au directeur du centre d’examens pour comprendre la situation et chercher à la débloquer. Je reste confiant : une session exceptionnelle est généralement organisée pour les étudiants justifiant de leur absence. Après presque un mois sans retour, le service handicap me conseille d’écrire à la présidence de l’Université de Poitiers.
Quelle réponse as-tu reçue de la part de l’établissement ?
Je reçois quelques jours plus tard une réponse signée par la Vice-Présidente Formation de l’Université. En somme, si la direction du centre d’examen ne m’a pas répondu, c’est parce que ce n’est pas elle que j’aurai dû contacter. Si mon planning a été modifié, c’est suite à une demande des étudiants des années précédentes. Enfin, cette modification implique effectivement des sujets différents, mais réalisés et corrigés avec les mêmes exigences.
Cerise sur le gâteau : elle ajoute que je n’ai pas validé cette année universitaire en raison d’absences injustifiées.
Quelles ont été tes notes d’examens ?
Sur l’unique matière où j’ai eu un sujet identique au reste de la promotion, j’ai obtenu la note de 16,5/20. Sur les matières où j’ai dû composer sur un sujet différent, j’ai eu un 0, un 8 et un 6, alors que j’avais de très bons résultats à ces cours pendant l’année. Pour l’ensemble des autres matières : ABI. Me voilà donc défaillant. Je ne comprends pas où sont passés mes justificatifs d’absence, ni comment le problème de sujet n’a pas pu sauter aux yeux du jury.
Aujourd’hui, quelles actions mènes-tu pour tenter de résoudre le problème ?
J’ai fait appel à des associations étudiantes, aux services du défenseur des droits, à des avocats, à la presse… Mais les choses ne bougent pas. Le seul fait d’avoir demandé un aménagement m’a empêché d’obtenir mon M1. Sans M1, je n’ai pas pu m’inscrire en M2 et perds donc une deuxième année. J’ai perdu à minima deux ans de ma vie et plusieurs milliers d’euros. Toutefois, je ne baisse pas les bras face à l’injustice.
Malgré les difficultés, tu as dû avoir de nombreuses victoires. Quelles ont été tes plus belles réussites ?
Je suis fier d’avoir validé ma licence. Ça a été dur, et j’ignore si j’aurai l’occasion de m’en servir, mais j’ai réussi. Quelques années auparavant, personne n’aurait parié là-dessus, moi y compris.
Certains établissements accueillent à bras ouverts les étudiants en situation de handicap, d’autres non.
Je suis également fier d’être encore debout pour lutter contre les faits de discrimination envers les ESH. Je sais que je me bats contre des moulins à vent, je sais que je n’y changerai très certainement rien, mais je suis fier de me battre et de refuser d’accepter l’inacceptable.
Quel est le message que tu veux transmettre aux personnes dans la même situation que toi et aux organismes d’enseignement supérieur pour améliorer les conditions des ESH ?
Aux étudiants et futurs étudiants, je leur dirais avant tout « croyez en vous. » Ensuite, il est important d’entrer en contact au plus tôt avec les responsables handicap de sa formation afin de pouvoir obtenir rapidement les aménagements nécessaires. Enfin, il est indispensable de se renseigner auprès de personnes dans la même situation sur leur vécu dans l’établissement convoité, pour savoir à quoi s’attendre. Certains accueillent à bras ouverts les étudiants en situation de handicap, d’autres non.
Aux organismes d’enseignements, je leur dirai que les décisions d’aménagement d’études pour les ESH devraient être utilisées pour rétablir l’égalité des chances entre étudiants et non pour leur imposer un traitement défavorable majorant leurs difficultés. Ce n’est pas une situation acceptable. Ne le faites pas. Ne le faites plus.