Frein psychologique des employeurs, autocensure des étudiants ou encore questions matérielles liées à l’adaptabilité… Les embûches pour suivre un cursus dans le supérieur ou trouver un travail lorsqu’on est aveugle ou malvoyant sont nombreuses. Pourtant, ce handicap, encore trop peu connu du grand public, n’empêche pas de s’insérer dans la vie active, à condition de s’adapter.
C’est en partant de ce constat que l’Institut national des jeunes aveugles (INJA) a réuni tout l’écosystème de la déficience visuelle à l’occasion du salon emploiDV 2024, le 3 avril dernier, à Paris. Le temps d’une journée, les salles de classe du bâtiment ont été troquées en lieux d’échanges : CV à la main, les visiteurs malvoyants ou aveugles ont pu rencontrer les différents acteurs professionnels, associatifs ou académiques pour trouver un stage, un emploi ou des solutions adaptées pour une formation dans le supérieur. Reportage.
« Outils de compensation »
« Mon futur métier, c’est d’installer des logiciels, déployer des systèmes d’exploitation et aider les utilisateurs au quotidien », décrit Lucas, 32 ans, en première année d’études informatiques. À la recherche d’un stage d’assistant informatique, le jeune homme malvoyant a besoin de certains dispositifs pour travailler, comme un lecteur d’écran adapté ou une plage braille pour écrire. « Rien de très contraignant », juge-t-il.
« La difficulté, c’est que l’environnement professionnel n’est pas accessible aux aveugles. Ces derniers doivent donc apprendre à s’adapter », Bastien Dérian, conseiller en insertion professionnelle
Des « outils de compensation auxquels il faut former les jeunes », rappelle néanmoins Bastien Dérian, conseiller en insertion professionnelle au sein de l’ESRP Ocens, à Nantes. L’établissement propose notamment des formations adaptées de téléconseillers, plus longues dans le temps, avec un plateau technique d’apprentissage des différents outils, véritables « béquilles » de la vie quotidienne. « La difficulté, c’est que l’environnement professionnel n’est pas accessible aux aveugles. Ces derniers doivent donc apprendre à s’adapter », assure-t-il.
Un effort d’adaptation que la trentaine d’entreprises présentes sur le salon sont, elles, prêtes à fournir. « On fait en fonction des besoins », assure Valentine Chavaux, chargée de mission diversité inclusion pour la compagnie d’assurance Klesia. Marquages au sol, logiciels spécifiques, luminosité sur l’espace de travail ou encore aménagements horaires…autant de dispositifs pour faciliter la vie des collaborateurs en entreprise.
Préjugés et autocensure
Stoyann, alternant aveugle au pôle ressources humaines d’Axa, bénéficie de dispositifs similaires dans son entreprise. « J’ai suivi des formations pour que je puisse être intégré au mieux », précise le salarié de 27 ans. Ancien étudiant de l’INJA, il revient aujourd’hui témoigner de son parcours auprès des visiteurs, en tant qu'exposant du salon. « La difficulté principale pour moi a été au moment de ma recherche d’alternance : j’ai senti que certains recruteurs étaient freinés par mon handicap », retrace-t-il.
« Comme dans tous les secteurs de la vie sociale, les étudiants malvoyants ou aveugles sont confrontés aux préjugés : on ne sait pas ce qu’un aveugle peut faire et ne pas faire et à quel moment il est autonome », explique Stéphane Gaillard, directeur de l’INJA. À cet obstacle s’ajoute un « frein personnel, celui de l’autocensure, qui touche pas mal de jeunes au moment du bac », poursuit Pierre Marragou, président de l’association ApiDV, qui coorganise le salon.
De nouveaux métiers accessibles avec l’essor du numérique
Une fois ces barrières psychologiques levées, encore faut-il que les formations soient accessibles. Car si la technologie permet « beaucoup plus de possibilités qu’avant, il faut que les cursus respectent les règles d’accessibilité du numérique », souligne Stéphane Gaillard. Le directeur de l’établissement regrette par exemple que la licence de chimie ne soit pas adaptée aux déficients visuels, empêchant ce public d’aspirer aux métiers de nez ou de sommelier, qui sont pourtant des professions sollicitant des sens très développés chez les aveugles.
« Le braille étant un code, c’est beaucoup plus facile de devenir codeur informatique », Stéphane Gaillard, directeur de l’INJA
La technologie a tout de même ouvert les portes à de nouveaux métiers pour les déficients visuels, longtemps cantonnés à trois professions : accordeur de piano, kiné et vannier (tressage de mobilier en tiges végétales). « Les métiers de l’informatique et du développement web recrutent énormément d’aveugles et mal voyants », illustre Stéphane Gaillard. « Le braille étant un code, c’est beaucoup plus facile de devenir codeur informatique », précise-t-il, soulignant que différentes formations, en BTS comme en école d’ingé, se sont adaptées au public des déficients visuels.
D’ici au mois prochain, les organisateurs du salon feront un bilan qualitatif du nombre d'emplois ou stages décrochés par les visiteurs à la suite de cet événement. Ils espèrent des résultats encourageants qui seront transmis à tous les acteurs présents sur le salon, essentiels pour continuer à faire progresser l’inclusion.