Vendredi matin, 9 h 59. Sur la grande avenue qui sépare le troisième arrondissement de Lyon de Villeurbanne (Rhône), une petite dizaine d’individus curieux affublés d’un casque de protection et d’un gilet jaune ont bravé le froid matinal pour arpenter les chantiers de tramway. « C’est fou, toutes ces infrastructures ! », s’exclame l’un d’entre eux.
Ces jeunes, ce sont les nouveaux arrivants en première année de cycle ingénieur de l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE). Un établissement qui forme à la fois des fonctionnaires dans les secteurs de l’aménagement et des travaux publics, mais aussi de futurs ingénieurs pour des entreprises du secteur privé.
Dès leur arrivée sur les bancs de l’école, les étudiants sont invités à une série de visites de terrains de chantier ou de centres de maintenance. Ce matin-là, c’est le groupe Egis, spécialisé dans les secteurs de l’aménagement et du transport, qui mène la danse pour ces visites.
Excursion sur les rails
Après une introduction succincte sur les différents domaines d’expertise du groupe présentée aux étudiants, une partie significative de la visite est consacrée au projet d’envergure du tramway T6. Le prolongement de ce moyen de transport urbain est prévu pour 2026 et reliera l’est de Lyon à Villeurbanne.
Curieux et très intéressés par les explications fournies par le maître d’ouvrage et les autres responsables, les élèves-ingénieurs, les yeux ébahis, enchaînent les questions. Aspects techniques des projets du chantier, enjeux sociaux et environnementaux, durabilité ou encore exploitation et maintenance : toutes les thématiques liées aux chantiers du tramway sont abordées.
Les jeunes ont porté une attention particulière sur la manière dont la libre circulation des personnes du tramway sera assurée, avec des interrogations sur les sujets d’inclusion et d’accessibilité. « Est-ce que ce projet restera accessible aux personnes en situation de handicap ? », demande par exemple l’un d’entre eux au maître d’ouvrage.
Le maître d’ouvrage présente aux étudiants de l’ENTPE les grandes étapes du chantier du tramway lyonnais, à Villeurbanne (Rhône). © Diplomeo
Parmi le groupe participant à cette visite, deux jeunes étudiantes sont présentes, ce qui reflète l’intérêt grandissant des femmes dans ces secteurs d’activité où l’on retrouve souvent une majorité d’hommes. « J’ai conscience que j’étudie dans un milieu souvent perçu comme masculin et que cela peut se révéler frustrant parfois », confie Clotilde, 19 ans. « Tant qu’on est motivés et impliqués, j’espère que l’on ne fera plus de différence entre les genres ».
Elles bougent : « Il faut exercer des métiers qui nous rendent heureuses, c’est le plus important »
La jeune fille, originaire d’un village en Ardèche, est titulaire d’un bac général spécialité mathématiques et physique-chimie. Elle est arrivée dans la capitale des Gaules pour suivre deux années de classe prépa PCSI (Physique, chimie et sciences de l’ingénieur). « En prépa, il y avait aussi beaucoup de garçons et j’ai pu me sentir parfois rabaissée par certaines réflexions », déplore-t-elle.
« J’ai pris en compte le fait qu’il y avait 44 % de filles à l’ENTPE, ce qui était important pour moi », Clotilde, 19 ans, étudiante en première année du cycle ingénieur
Après avoir passé les concours Mines-Télécom, le choix de Clotilde s’est porté sur l’ENTPE pour suivre sa vocation, mais aussi pour une toute autre raison. « J’ai pris en compte le fait qu’il y avait 44 % de filles à l’ENTPE, une information qui était importante pour moi », dévoile la jeune fille. « Après cette visite que j’ai adoré, je me sens à ma place en lien avec mes aspirations », se réjouit-elle.
Une appétence pour l’urbanisme et les aménagements, sur fond de sensibilité verte
Si les visites des chantiers suscitent un vif intérêt pour les ingénieurs en herbe, l’urbanisme et la question écologique retiennent l’attention de ces derniers. « Ce qui m’a marqué, c’est à quel point il y a une volonté de concertation avec les populations concernées par les projets », concède Félix, 20 ans, en première année à l’ENTPE, qu’il a intégré après une prépa MPSI (maths, physiques et sciences de l’ingénieurs). « Elles ont leur mot à dire, et ça me paraît essentiel », poursuit-il.
Le jeune homme, lyonnais invétéré, confie avoir travaillé sur des chantiers, mais n’avait jamais participé à une visite encadrée par une école. Ce dernier s’intéresse vivement aux secteurs des transports de l’urbanisme et souhaiterait transformer sa passion en profession. « J’aimerais travailler dans ces secteurs, car ce sont des domaines en pleine évolution, surtout avec la question des transports durables », explique l’étudiant, l’air déterminé.
« Il est impensable aujourd’hui pour une école dans ce domaine de ne pas avoir ces fibres et d’intégrer ces problématiques liées à la transition écologique », Félix, 20 ans, étudiant en première année du cycle ingénieur
« J’ai aussi apprécié l’aspect écologique mis en avant, avec une réelle volonté de préserver l’environnement et les nappes phréatiques », complète-t-il. Félix, tout comme sa camarade Clotilde, font partie de cette génération climat qui s’estiment sensibilisés aux enjeux environnementaux. « C’est d’ailleurs un des points qui m’a attiré vers cette école, qui met vraiment l’accent sur la transition écologique. Il est impensable aujourd’hui pour une école dans ce domaine de ne pas avoir ces fibres et d’intégrer ces problématiques liées à la transition écologique », affirme le jeune lyonnais.
« Quant à moi, je suis très inquiète face au réchauffement climatique », renchérit l’étudiante de 19 ans, qui se définit comme éco-anxieuse. « Cela reste quand même un sujet anxiogène, car les changements climatiques arrivent vite et nous concernent tous, c’est pour cela que j’ai trouvé ça très encourageant de voir les efforts faits pour verdir les aménagements lors de la visite ».
« Les étudiants ont envie d’être dans le concret et de mettre à la main à la pâte »
En arrivant à l’ENTPE, les étudiants n’ont pas d’idée très précise du métier qu’ils souhaitent entreprendre une fois leur diplôme en poche. C’est la raison pour laquelle l’établissement situé à Vaulx-en-Velin (Rhône) prend l’initiative d’organiser ces découvertes du terrain pour les nouveaux arrivants.
« La plupart des étudiants qui arrivent ici sortent de classe préparatoire et ont envie d’être directement dans le concret et de mettre la main à la pâte », estime Antoine Leblanc, directeur de la formation initiale à l’ENTPE. « Ils sont très en attente de ce genre de visites pour se familiariser avec les réalités du terrain », poursuit-il. L’établissement propose cinq thématiques d’enseignements que les jeunes choisissent d’étudier en mineur et en majeur : aménagement et politiques urbains, bâtiment, environnement, génie civil, mobilité et transport et les visites sont liés à ces domaines d’activités.
Sensibilisation aux enjeux environnementaux dans les grandes écoles : qu’en pensent les étudiants ?
Le patio de l’École nationale des travaux publics de l’État (ENTPE), situé en plein cœur de l’établissement à Vaulx-en-Velin (Rhône).
Quand on leur propose les différentes possibilités de lieux, les étudiants se jettent parfois sur les visites qu’ils jugent plus attractives. Antoine Leblanc avertit : ce n’est pas la plus attrayante qui se révèle être forcément la plus intéressante. « Se rendre dans une station d’épuration ne doit pas enchanter les étudiants quand ils y pensent. Toutefois, ce qui en ressort, c’est que finalement celle-ci s’est révélée plus captivante que prévu », expose-t-il.
« Même si les jeunes n’ont pas une idée concrète, ils s’intéressent déjà à leur insertion professionnelle, être au plus près du terrain, ça leur parle », développe le directeur de la formation initiale. Le cursus ingénieur de l’ENTPE a été initié en ce sens, où les étudiants ont l’occasion de s’y rendre plusieurs fois tout au long de leurs études.
« Nous avons des partenariats avec les territoires et des collectivités locales, car nous sommes une école d’aménagement », affirme Cécile Delolme, directrice générale de l’ENTPE, dont l’école dépend du ministère de la Transition Écologique, et non de celui de l’Enseignement supérieur. « La question écologique fait partie intégrante de l’ADN de notre école, car les entreprises sont en quête d’individus capables de comprendre et d’affronter les enjeux environnementaux contemporains et on les prépare à cela », poursuit-elle.
Si l’école a saisi ces enjeux environnementaux, les millenials et la génération Z accordent, de leur côté, une importance cruciale sur ces thématiques. Une récente étude le confirme : un jeune sur cinq âgé de 18 à 35 ans a déjà changé d’emploi pour des raisons écologiques.
« C’est incontournable, au XXIe siècle, de travailler avec, pour et dans l’environnement »