Dans l’enseignement secondaire, la voie professionnelle charrie son lot de rebondissements. Le président de la République, Emmanuel Macron, avait lancé son grand chantier pour réformer le lycée pro. Une mesure entrée en vigueur progressivement en 2023, sous l’impulsion de Carole Grandjean, l’ancienne ministre déléguée à l’enseignement professionnel.
La rentrée de septembre 2024 marque l’aboutissement de cette réforme. Parcours différencié, groupe de niveaux en français et en mathématiques, chef-d’œuvre repensé… Les derniers contours du nouveau lycée professionnel se dessinent progressivement. Néanmoins, beaucoup d’incertitudes subsistent du côté de la communauté éducative.
Le parcours différencié : un faux choix ?
Faire du lycée professionnel une « voie d’excellence » : tel est l’objectif du gouvernement dans le sillage de la mise en application de sa réforme. Dans son Projet de loi de Finances 2025, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse en rappelle les grands axes, en citant la nouvelle carte des formations qui vise « à améliorer les perspectives d’insertion des élèves et mieux répondre aux besoins en compétences de notre économie ». 12 603 places ont été ouvertes cette année dans les « formations porteuses » du lycée pro, annonce le MENJ.
Parmi les changements notables, les modules de parcours différenciés en fin de terminale professionnelle (aussi appelée « année Y »). Avec ce système, les élèves ont la possibilité de choisir, en fin d’année scolaire, un stage en entreprise s’ils souhaitent engager une insertion professionnelle, une fois leur diplôme en poche. Dans le cas d’une poursuite d’études, ces derniers pourront rester en classe pour suivre des cours intensifs.
Pour Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU — syndicat de l’enseignement professionnel public — et enseignant de maths-sciences dans un lycée pro de l’académie de Rennes, ces modules de parcours différenciés représentent « une vaste supercherie ». Selon lui, le jeune peut choisir un parcours qui n’est pas forcément lié à son projet d’études. « Rien n’oblige l’élève qui a fait des vœux pour aller en BTS à rester au lycée pour faire le module poursuite d’études. Il a le droit de dire je vais en entreprise pendant 6 semaines et inversement », affirme-t-il.
« Moins d’école et plus de stages, ça suscite moins de réussite »
Le syndicat des enseignants de la voie pro estime que c’est une réforme qui va favoriser le monde du travail, au détriment d’un apprentissage satisfaisant pour les jeunes. « Si l’élève choisit l’entreprise, ce ne sont pas des semaines de formation », dénonce Axel Benoist, car ce dernier peut choisir « un stage complètement déconnecté » de son cursus actuel. « Pour un élève de bac pro automobile, rien ne lui interdira de faire son stage dans un restaurant ou dans un commerce et ne pas être dans la mécanique », concède-t-il.
« Il y a une inquiétude et une angoisse de la part des professeurs et du personnel », renchérit Axel Benoist, avant d’ajouter : « Ils nous disent qu’ils ont moins le temps pour préparer les élèves au bac pro, il y a 100 heures de cours en moins cette année par rapport à l’année dernière ».
Un air de déjà-vu
Si le parcours différencié suscite des inquiétudes sur la fin de l’année scolaire, c’est aussi le cas des examens de fin d’année, où le calendrier a été chamboulé. Les épreuves générales (français, mathématiques…) ont lieu à la mi-mai, tandis que l’examen de prévention, santé et environnement ainsi qu’une épreuve orale se tiendront à la fin juin.
Le calendrier scolaire 2024-2025 de la terminale professionnelle !
Là encore, enseignants et personnels craignent un absentéisme des élèves pendant cette période. Comme un air de déjà-vu. Pour rappel, en 2023, au lycée général et technologique (LGT), nombreux sont ceux qui ont déserté les bancs de l’école, après avoir passé les épreuves du bac au mois de mars. Personnels et enseignants étaient vent debout contre le calendrier des épreuves. Le gouvernement a donc décidé de rétropédaler, en remettant les examens terminaux en juin.
Ce phénomène va-t-il se reproduire dans la voie professionnelle ? « Ce qui s’est passé en voie générale, c’est exactement ce que nous redoutons », confie un enseignant de mathématiques d’un lycée pro du sud de la France, qui a souhaité garder l’anonymat. « On demande à revenir à la raison et remettre toutes les épreuves fin juin comme pour les LGT ».
« On a moins de temps pour assimiler les savoirs »
Sur le papier, quelques élèves ont l’air de bien accueillir certaines facettes de la réforme. À l’image d’Evan, 17 ans, qui vient d’entrer en terminale pro spécialité cuisine au lycée des métiers Camille Claudel à Mantes-la-Ville (Yvelines). Il se dit content de passer plus de temps en entreprise, pour se familiariser avec le marché du travail et découvrir des métiers. « Je trouve que nous laisser 6 semaines de plus pour refaire un stage est vraiment une aubaine », se réjouit-il. « On progresse bien mieux lors des périodes de formation en milieu professionnel qu’au lycée ».
Bien qu’il souhaite poursuivre ses études en BTS une fois son sésame en poche, il choisira le stage de fin d’année lors du parcours différencié. « Mon choix est déjà fait depuis l’annonce de la réforme, on apprend tellement en stage que je ne vois pas l’intérêt de rater cette chance ». Le manque de professeurs dans son établissement le conforte aussi dans ce choix. « Depuis le début de l’année, nous n’avons pas de prof de maths, j’ai donc peur qu’en prenant l’option de rester au lycée, des cours qui pourraient être nécessaires ne soient pas donnés », déplore Evan.
Pour lui, la réforme du lycée pro ne change pas grand-chose, si ce n’est pour l’avancement des épreuves et la réduction du nombre d’horaires en cours. « Je ne suis pas du tout inquiet à titre personnel, il y a des avantages à passer les épreuves plus tôt », estime-t-il. Il pointe néanmoins l’inquiétude de ses camarades et de ses enseignants pour la préparation avant le jour J. « On a beaucoup moins de temps pour assimiler les savoirs, ce n’est pas l’idéal surtout pour ceux qui sont en difficulté ».
Des gratifications en suspens
Tout travail mérite son dû, et c’est également valable pour les stages des élèves de la voie pro. Dans le cadre de la réforme, les périodes de formation en milieu professionnel (PFMP) sont rémunérées par l’État en CAP comme en bac pro. En première année, les élèves perçoivent 50 euros par semaine, puis 75 et 100 euros respectivement en deuxième et troisième année.
Néanmoins, ces gratifications promises par le gouvernement ont été le théâtre de plusieurs dysfonctionnements : beaucoup de jeunes n’ont pas reçu leurs allocations. Sur les réseaux sociaux, des lycéens ont alerté sur leur situation. « Dans notre lycée, nous avons dû attendre longtemps avant de recevoir notre rémunération », explique Evan.
« Dans chacune de mes classes, des élèves se sont plaints de ne pas avoir été payés à temps, il y a eu des retards de 3 mois à 4 mois ce qui n’est pas acceptable », confirme un enseignant de mathématiques. « C’est bien d’annoncer qu’il y a des rémunérations pour les élèves, mais ce que je vois surtout, c’est qu’on ne les forme pas suffisamment sur leurs droits et leurs devoirs », ajoute-t-il.
« Si c’était un vrai salaire, une personne pas payée pendant 3-4 mois, ça ne passerait pas comme ça, on les habitue à être payés au lance-pierre, ce qui n’est pas une bonne chose pour leur vie de citoyen », confie l’enseignant. Pour Axel Benoist, ces retards « montrent l’impréparation complète » de la réforme. « On aura encore des cas cette année », prévient-il, bien qu’il pense que ce sera au cas par cas, notamment pour ceux qui auront oublié de renseigner leurs coordonnées.
Des groupes de besoins, sur la base du volontariat
Cette transformation progressive du lycée professionnel ne concerne pas uniquement l’année de terminale. Depuis la rentrée, le ministère de l’Éducation nationale préconise des groupes d’effectifs réduits en français et en mathématiques en seconde et en première. L’objectif ? « Remédier aux difficultés constatées et consolider les savoirs dans ces domaines », peut-on lire sur éduscol.
Des doutes demeurent, quant à la mise en place de ces groupes de niveaux. Selon le syndicat de l’enseignement professionnel, les enseignants et les chefs d’établissement peuvent décider ou non de déployer ces groupes de besoins. « Il y a une mise en place qui est très inégale, des établissements qui ont utilisé ces moyens supplémentaires pour faire davantage de cours en groupe en français et maths et d’autres qui ont fait comme d’habitude », précise Axel Benoist.
« Cela n’a pas été mis en place dans notre établissement », annonce l’enseignant du sud de l’Hexagone. « Nous craignons que cela entraîne une stigmatisation des élèves en difficulté et que cela compromette la cohésion des classes », fustige-t-il.
Dans le gouvernement du Premier ministre Michel Barnier, un ministère est dédié à la voie professionnelle. Alexandre Portier a été nommé ministre délégué à la réussite scolaire et à l’enseignement professionnel. Les syndicats souhaitent connaître son « périmètre d’action » pour continuer à porter leurs revendications. Le co-secrétaire général du SNUEP ajoute : « Ce qu’on attend surtout, c’est qu’il entende enfin les personnels avec la demande de pouvoir retrouver du temps avec leurs élèves. Il est encore temps de suspendre cette réforme et retravailler à une autre réforme du lycée pro avant la fin d’année de terminale ».
Interrogé dans l’émission « Dimanche en politique » ce 20 octobre sur France 3 Rhône-Alpes, Alexandre Portier s’est montré satisfait de la réforme du lycée pro. Il a notamment salué la mise en place du bureau des entreprises, qui est installé dans les établissements pour développer des partenariats entre les jeunes et les acteurs professionnels. « Le pays a besoin du lycée professionnel pour affronter tous les défis qui sont devant lui », juge-t-il, en indiquant qu’il souhaiterait renforcer le lien entre école et entreprise. « Je veux que l’on sorte des logiciels où l’on oppose la professionnalisation et la maîtrise des fondamentaux », a-t-il asséné.