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Réforme du lycée professionnel : « moins d’école et plus de stages, ça suscite moins de réussite »

Le gouvernement a lancé les premières concertations dans le cadre de sa nouvelle réforme du lycée professionnel. Un projet qui crispe beaucoup d'acteurs de la communauté éducative, qui alertent sur un potentiel danger pour les élèves.
Mis à jour le / Publié en novembre 2022
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Un vent de panique souffle dans les lycées professionnels de l’Hexagone. Enseignants et élèves de la voie professionnelle font part de leurs plus vives inquiétudes. En cause : le projet de réforme du lycée pro, souhaité par le président de la République, Emmanuel Macron et porté par Carole Grandjean, la ministre déléguée de la Formation de l’Enseignement professionnels. Les premiers chantiers et groupes de travail ont débuté en octobre 2022, afin que cette réforme soit applicable dès la rentrée 2023.

En France, un élève sur trois est scolarisé en lycée pro, soit près de 630 000 jeunes. Pour engager sa réforme, le gouvernement a dressé plusieurs constats : un taux d’insertion professionnelle insuffisant pour les bacheliers pros dans le monde professionnel, des effectifs en baisse ou encore un taux d’absentéisme et un décrochage scolaire plus important qu’en lycée général et technologique (LGT).  

Cette nouvelle transformation du lycée professionnel passera notamment par une augmentation des périodes en entreprise au détriment de l’enseignement théorique, particulièrement les matières générales. En d’autres termes, les lycéens seraient davantage en entreprise, en stage ou en apprentissage, avec un temps réduit sur les bancs de l’école.

Depuis la réforme de 2018 : une voie professionnelle de mal en pis ?

Syndicats, directeurs, enseignants… Plusieurs acteurs de la communauté éducative sont unanimes et désapprouvent en tout point cette réforme. Jérôme Presneau est enseignant de lettres-histoire géographie au lycée professionnel Goussier à Rezé (Loire-Atlantique). En exercice depuis 1996 et co-président de l’APHG (Association des professeurs d’histoire-géographie) des Pays de la Loire, il s’oppose au projet du gouvernement. Il intervient à la suite d’une précédente réforme menée en 2018 par Jean-Michel Blanquer, l’ancien ministre de l’Éducation nationale.

« Sur cette première réforme de 2018, on avait déjà vu une réduction drastique de nos horaires », explique-t-il. La réforme précédente a vu naître de nouveaux dispositifs comme la co-intervention ; des cours communs organisés par les enseignants des matières générales et professionnelles ou encore le chef-d’œuvre pour les élèves de CAP et de bac pro. Il s’agit d’un projet de réalisation mené par les lycéens, en deux ans, permettant de valoriser leurs compétences, en lien avec leur futur métier.  

Jérôme Presneau précise que la réforme de 2018 « s’est étalée sur trois ans », avant d’être totalement effective. « On n’a même pas eu l’occasion encore de l’expérimenter qu’on nous rebascule à nouveau sur une réforme ». Un avis largement partagé par le SNUEP-FSU, le syndicat majoritaire de l’enseignement professionnel public ; « On demande le retrait pur et simple de la réforme », affirme Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP. « On remarque que les précédentes réformes depuis une douzaine d’années diminuent la capacité de réussite et la possibilité de réussite des jeunes », ajoute-t-il.

Le syndicat reproche à Carole Grandjean un manque d’objectivité concernant son projet de réforme. « L’état des lieux qui a été réalisé par le ministère en octobre dernier est un état indigent d’une réforme faite par Blanquer en 2018. On est sur le même discours, des croyances et des “on dit” », tempère Axel Benoist. Si la ministre chargée de l’Enseignement réunit cette semaine 2100 chefs d’établissements afin de « faire le point » sur les groupes de travail, le SNUEP-FSU refuse d’y participer.

👂À l’écoute des remontées de terrain des équipes éducatives pour écrire ensemble la réforme des lycées professionnels.1 mois après avoir installé les groupes de travail, je réunis ce soir les 2100 chefs d’établissement de lycées professionnels & polyvalents pour faire le point. pic.twitter.com/y49MLLHNKt

— Carole Grandjean (@CGrandjean_) November 28, 2022

« Les professeur·es de lycée professionnel ne sont pas dupes des pseudo-concertations organisées par Carole Grandjean. Celles-ci ne sont qu’un alibi pour tenter de diviser les personnels, faire taire la contestation et empêcher les mouvements de grève », condamne le syndicat, dans un communiqué du 17 novembre 2022.

Former plutôt que réformer

Les acteurs de la voie professionnelle, à contre-courant des mesures souhaitées par le gouvernement, estiment que l’enseignement théorique comme professionnel est important pour les élèves. « On se bat contre cette idée d’une formation qui serait exclusivement prise en charge par les branches professionnelles ou par l’entreprise », martèle Jérôme Presneau.  

La colère gronde, tant du côté des enseignants que des lycéens. « La réforme est une réponse très dangereuse, car elle va à l’encontre de notre vision de l’école, qui doit être émancipatrice », concède Colin Champion, président de la Voix lycéenne, premier syndicat lycéen de l’Hexagone. « C’est important d’avoir une formation technique quand on est dans cette voie-là. Cependant, on ne peut pas se dire qu’on augmente la formation dans une entreprise, ce qui s’appelle du travail, tout simplement ».

Pour lui, les élèves de la voie pro doivent bénéficier d’un bagage de connaissances théoriques suffisant, afin de mieux appréhender le monde du travail. « Il faut remettre des enseignements généraux et avoir une formation humaniste, car c’est très inégalitaire. Les élèves ont le droit d’avoir accès à des cursus scientifiques et littéraires, au même titre que les lycéens de la voie générale » revendique Colin Champion.

Les professeurs craignent la réduction des enseignements, susceptible de donner du fil à retordre aux élèves quant à la préparation des examens. « Je donne cours à des élèves en terminale bac pro technicien en chaudronnerie industrielle (TCI) et cette année je les vois 2 h par semaine en français, alors que je suis censé les préparer pour une épreuve de fin d’année qui dure 3 h », explique l’enseignant. « C’est tout bête, mais je n’ai même pas l’occasion de les avoir sur cette amplitude horaire là sur une semaine pendant toute l’année ».

« L’alternance et l’apprentissage, ça peut correspondre à la volonté de certains des élèves. On ne met pas du tout ça en cause, mais pour nous ça ne doit pas être un système exclusif », Jérôme Presneau, enseignant de lettres-histoire-géo en lycée professionnel

Former plutôt que réformer, tel est le leitmotiv des acteurs de la voie professionnelle. Ils préconisent une juste équité entre les savoirs généraux, les savoirsprofessionnels et techniques. Pour eux, ces derniers points permettent, à juste titre, de rapprocher les élèves sur les savoirs généraux. « L’objectif, c’est aussi de former non pas que des exécutants dans le monde de l’entreprise, mais des gens qui peuvent réfléchir par eux-mêmes », confie le co-secrétaire du syndicat de la filière professionnelle. Le SNUEP-FSU voit en la réforme, un objectif « d’utiliser une main-d’œuvre pas chère » qui n’aurait pas les outils suffisants pour « réfléchir » par elle-même. « Pour nous, moins d’école et plus de stages, ça suscite moins de réussite ».

« On a peur que des pans entiers de la formation générale passent par la fenêtre, sur un trait de plume comme ça », renchérit Jérôme Presneau. « L’alternance et l’apprentissage, ça peut correspondre à la volonté de certains des élèves. On ne met pas du tout ça en cause, mais pour nous ça ne doit pas être un système exclusif ».

Le décrochage scolaire, bête noire de la voie professionnelle

Le lycée professionnel rencontre, au fil des décennies, des préjugés persistants et déconcertants. Si certains élèves y vont évidemment par vocation avec un projet professionnel mûri, nombreux sont ceux qui considèrent avoir été jetés en pâture dans un CFA après le collège et subit leur orientation. Lors de son allocution dans un lycée pro en septembre dernier, le président Emmanuel Macron avait également utilisé le terme « d’orientation subie » et s’était attaqué aux filières ayant « trop peu de débouchés ». Carole Grandjean, elle, explique que deux tiers des décrocheurs proviennent de la voie professionnelle.

Pour Jérôme Presneau, le terme d’orientation subie vaut pour certaines filières, mais pas pour d'autres. Il explique que certaines d’entre elles, comme le bac pro esthétique-cosmétique, sont très demandées et attirent les foules, année après année. À l’inverse, les « cursus liés à l’industrie, comme les usineurs » séduisent moins les élèves, ce qui fait que certains d’entre eux s’y sont retrouvés par défaut.

En outre, l’enseignant indique que c’est aussi le rôle du lycée professionnel d’accompagner les élèves qui ont été mal orientés. « Quand j’entends la comparaison entre les décrocheurs du lycée pro et des apprentis, cela me met en colère », proteste-t-il. « On ne parle jamais du nombre de contrats d’apprentissage qui sont cassés en cours de route et qui vont créer du décrochage. Heureusement qu’il y a le lycée pro qui récupère ces élèves pour les remettre dans le système », a-t-il ajouté.

Colin Champion pointe du doigt le gouvernement, qui, selon lui, n’attribue pas assez de moyens pour lutter contre ce phénomène. « Ils sont tout seuls dans leur détresse ; ils s’enfoncent de plus en plus ». Le président de la Voix Lycéenne propose de « remettre des moyens humains, c’est-à-dire des postes », pour limiter le nombre d’élèves décrocheurs. Il affirme que lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, « 7 500 postes d’enseignants ont été supprimés » par l'ancien ministre de l'Éducation. Axel Benoist souligne aussi le manque de professeurs et veut revaloriser la filière pour « éviter des effectifs pléthoriques à plus de 30 élèves par classe ».

Favoriser la poursuite d’études comme l’insertion professionnelle

Bien que la voie professionnelle ait pour objectif une insertion professionnelle rapide sur le marché de l’emploi, les enseignants veulent assurer une formation significative pour que ceux qui le souhaitent puissent poursuivre leurs études supérieures, notamment en BTS.

La ministre déléguée Carole Grandjean veut aussi adapter les cursus aux réalités du terrain et améliorer l’insertion professionnelle et l’accès à l’emploi. Elle souhaite également préparer les poursuites d’études supérieures exigées par certains métiers. Ainsi, deux groupes de travail pilotés par le ministère ont été érigés en ce sens.

« Je partage la volonté qui est d’orienter nos élèves de bac pro vers le supérieur, notamment les BTS », explique Jérôme Presneau, bien qu’il s’interroge. « Je n’arrive pas à comprendre cette logique qui veut qu’on réduise l’enseignement général avec une volonté de poursuivre dans le supérieur ». Aujourd’hui, environ 25 % des bacheliers pros se dirigent vers un BTS une fois leur diplôme en poche, selon le ministère de l’Éducation nationale.

Plusieurs manifestations ont déjà eu lieu depuis les débuts du projet de loi, et les mobilisations vont se poursuivre pour faire entendre leur mécontentement. « Les élèves sont très réceptifs et ils comprennent que leur voie est en danger. On souhaite s’allier collectivement, tous lycéens confondus, pour faire face à ce gouvernement qui est déterminé à saboter le lycée professionnel », conclut Colin Champion.  

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