Après une formation à l’université, Léa a intégré une école d’ingénieurs pas comme les autres : ISAE Supaero. Spécialisée dans les secteurs aérospatial et aéronautique, cet établissement a notamment vu passer un étudiant que l’on ne présente plus : Thomas Pesquet.
Passionnée par les enjeux liés à l’espace, la jeune femme n’a pas hésité une seconde avant de signer pour une aventure unique : Mars Desert Research Station (MDRS), un dispositif grâce auquel une dizaine d’élèves ingénieurs passent un mois dans le désert de l’Utah pour expérimenter la vie martienne. Retour sur une expérience hors du commun.
Peux-tu nous en dire plus sur ton parcours ?
J’ai un parcours assez atypique. J’ai fait un bac S en me spécialisant en physique-chimie. Je voulais étudier l’astrophysique. J’ai donc intégré Sorbonne Université et le cycle MIPI (Mathématiques, Informatique, Physique et Ingénierie). Je me suis ensuite spécialisée en sciences physiques avec une mineure mathématiques.
À la fin de ma deuxième année, j’ai intégré le parcours sportif de haut niveau. Je pratiquais la danse et j’avais été acceptée au conservatoire régional de Paris. J’ai donc pu réaliser ma L3 en deux ans, au travers un double parcours physique-danse.
Quand j’ai commencé à rechercher un master, j’ai réalisé que la physique théorique ne me plaisait pas tant que ça. J’avais besoin de me pencher sur des notions plus concrètes et je me suis tournée vers l’ingénierie. ISAE Supaero proposait un master en anglais baptisé AeroSpace Engineering accessible après une licence. En envoyant mon dossier, j’étais persuadé que cette grande école ne voudrait jamais de moi. Mais j’ai reçu la lettre d’admission en mars. Aujourd’hui, je suis en M2 en ingénierie spatiale.
Je suis arrivée à ISAE Supaero sans faire de prépa alors que tout le monde disait qu’on ne pouvait pas y parvenir sans passer par une CPGE
N'as-tu pas eu peur de devoir abandonner ta passion pour la danse avec tes études ?
Je fais de la danse depuis toute petite et j’ai continué tout au long de ma licence. Ça a toujours été très important pour moi. Quand je suis entrée à la fac, c’était une échappatoire considérable. Je ne voulais pas travailler uniquement mon esprit, j’aimais beaucoup les côtés sportif et artistique propres à la danse. En ce qui concerne le conservatoire, j’ai tenté sans vraiment y croire. J’avais compris que, si j’étais prise, ce serait un problème, car il faudrait trouver une solution pour jongler entre études et danse. Mais j’ai finalement pu intégrer le parcours sportifs de haut niveau.
J’ai entendu toute ma vie : il faudra que tu choisisses. En arrivant à Toulouse, je ne voulais pas privilégier l’un au détriment de l’autre. Je voulais continuer le plus longtemps possible. À ISAE Supaero, le parcours sportif de haut niveau n’existe pas, mais grâce à la banalisation de l’après-midi le jeudi et le vendredi, j’ai pu trouver une formation sur Toulouse me permettant d’avoir jusqu’à 10 heures d’entraînement par semaine. C’était assez dense, surtout qu’à la fin de l’année, avec les spectacles, les heures de répétition augmentent
Cette année, j’ai décidé de faire une pause en décembre. La MDRS me demandait beaucoup d’investissement dans mes études. J’ai cependant prévu de reprendre en mai, si c’est compatible avec mon stage de fin d’études.
Le Gender Scan Étudiants Ingénieurs a révélé que les étudiantes sont souvent découragées de faire des études en école d’ingénieurs. Est-ce quelque chose que tu as vécu ?
J’ai plutôt été soutenue. Ma famille a toujours été à fond derrière moi. Malgré tout, comme toutes les femmes dans le milieu des sciences, j’ai subi quelques remarques à cause de mon genre. Par exemple, en intégrant ISAE Supaero, quelqu’un m’a dit que je n’avais été prise que pour remplir le quota de femme et que mon dossier n’était pas si impressionnant. Toutefois, aucune porte ne m’a jamais été fermée.
Tu as donc fait la simulation martienne baptisée MDRS. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
© mars.bde-supaero.fr
Il s’agit d’une base martienne construite dans le désert de l’Utah, aux États-Unis. Les étudiants d’ISAE Supaero se rendent sur place pendant un mois pour vivre comme si on était sur Mars. Nous sommes isolés, avec des ressources limitées et aucun accès à internet. Durant quatre semaines, nous menons des expériences de chercheurs. On peut avoir des tests cognitifs, nous travaillons sur des technologies ou des instruments atmosphériques que nous déployons sur place. Nous faisions également des EVA [Extra vehicular activity, ou sortie extravéhiculaire, NDLR] durant lesquelles nous nous déplacions en scaphandre.
Si nous sommes sur place durant un mois, la mission commence en réalité plus d’un an avant. J’ai été recrutée en décembre 2022 et j’ai préparé ce projet avec l’équipage jusqu’à février 2024. La simulation a eu lieu en mars et nous devons rédiger des comptes-rendus post-missions avant de préparer la transition avec le prochain équipage.
Qu’est-ce qui t’a poussée à candidater à la MDRS ?
Je ne souhaite pas devenir astronaute, mais j’ambitionne de travailler auprès d’eux pour développer des systèmes de support-vie et des véhicules spatiaux. Mon but est de me pencher sur tout ce qui est lié à l’humain hors de la Terre. Je suis également très curieuse d’en apprendre plus sur le comportement humain et cette situation me permettait de tester les relations sociales en espace clos et sur la préparation d’un voyage d’humains sur Mars.
Avec la MDRS, nous étions livrés à nous-mêmes. Nous sommes indépendants et maîtres de notre mission.
Comment s’est déroulée la mission ?
Mon rôle était celui d’une astronome. Je travaillais sur un télescope solaire qui s’est malheureusement cassé la veille du départ. En une nuit, j’ai téléchargé tout ce qu’il fallait sur l’autre télescope qui était robotique. J’ai travaillé deux semaines dessus avant que le premier appareil soit de nouveau fonctionnel. J’ai pu observer des tâches solaires et une protubérance. Malheureusement, au bout d’une semaine, il s’est mis à neiger et je n’ai pas pu poursuivre ma mission. Mais cela m’a permis d’acquérir plus de patience.
© mars.bde-supaero.fr
Ce projet a été difficile, mais intéressant.Il a permis une vraie remise en question. L’une des choses que j’ai apprises c’est qu’il ne faut pas projeter mes attentes personnelles sur le reste de l’équipage et accepter qu’ils n’aient pas les mêmes envies que moi. La communication est déterminante et on se rend compte que cette compétence peut s’apprendre et n’est pas innée. Elle permet de régler le problème sans que le problème n’éclose.
Que tires-tu de la MDRS pour ton projet professionnel ?
Je vais débuter mon stage de fin d’études au CNES, dans la branche Spaceship. Mon expérience au sein de la MDRS m’a permis d’avoir une vue plus globale sur les besoins des astronautes, tant sur le plan technologique que psychologique. J’ai aussi pu apprendre comment anticiper des problèmes qui peuvent s’avérer fatals, quelles sont les constructions qui permettent de bien vivre une fois sur place, etc.
Avec la MDRS, nous étions livrés à nous-mêmes. L’équipe support n’intervient qu’en cas de soucis, mais nous sommes indépendants et maîtres de notre mission. Une tempête a mis à plat un tunnel que nous avons dû réparer en urgence. Pendant une des missions, mon scaphandre a cessé de fonctionner et cela nous a poussé à mettre en place un système de test avant chaque sortie. C’est une partie intéressante qui permet d’en savoir plus sur les difficultés liées à la vie sur Mars.
Est-ce que tu sais déjà ce que tu veux faire plus tard ?
Je ne sais pas où je serais dans trois ou quatre ans. J’aimerais beaucoup rester au CNES après mon stage de fin d’études, mais je suis également curieuse de voir comment le sujet de l’espace est traité à l’étranger ou au sein de l’ESA, l’agence spatiale européenne. En réalité, je suis plus attirée par un projet que par une entreprise.
Un message pour les lycéennes qui n’osent pas forcément se diriger vers les études d’ingénieurs ?
Il faut mettre toutes les chances de son côté, qu’on soit femme ou homme, d’ailleurs. Il faut apprendre à se valoriser pour montrer la cohérence de son parcours et aussi s’accrocher dans ses études. L’important, c'est aussi de saisir les opportunités et de ne pas oublier de regarder des gens qui ont des parcours différents. Je suis arrivée à ISAE Supaero sans faire de prépa alors que tout le monde disait qu’on ne pouvait pas y parvenir sans passer par une CPGE. Il est important de développer sa propre stratégie et sortir des idées préconçues.