L’UGE lance un observatoire des discriminations et de l’égalité

À l’heure où les Français sont plus que jamais divisés sur des questions économiques, politiques ou encore identitaires, il apparaît que l’enseignement supérieur n’est pas épargné en matière d’inégalités. Mais comment guérir une maladie qui se manifeste sournoisement ?
Mis à jour le / Publié en février 2022
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©Tumisu - pixabay.com

Pas plus tard que la semaine dernière, le lundi 7 février, les murs de l’école d'ingénieurs Polytech Clermont ont été tagués de propos haineux pour la septième fois en à peine six mois… On pouvait aperçevoir l’inscription “mort aux putes à nègres” sur la façade de l’établissement public. Ce phénomène n’a rien d’un fait isolé, puisque depuis quelques années, les tags racistes, antisémites et xénophobes ornent plusieurs grandes écoles et universités comme Sciences Po, HEC, l’université de Grenoble, l’université de Créteil, etc. Néanmoins, une autre forme de violence sévit depuis toujours sur les bancs de la fac : la discrimination. Celle-ci est beaucoup plus difficile à déceler… Même pour les victimes !

L’ONDES veut rendre visible une violence invisible

C’est dans ce contexte qu’est né l’Observatoire National des Discriminations et de l’Égalité dans le Supérieur (l’ONDES), proposé par l’Université Gustave Eiffel (l’UGE) dans le but de mesurer les discriminations, les progrès et les rectifications à effectuer. C’est une initiative que saluent tous les représentants qui étaient présents ce mardi 15 février 2022, notamment Mme George Pau Langevin, adjointe à la défenseure des Droits et ancienne Ministre des Outre-mer. Selon elle, “dans les études, le racisme, le sexisme, les discriminations sont encore mal documentés, d’où l’importance de ces études quantitatives et qualitatives". Elle suivra donc avec “grand intérêt et assiduité” le déploiement de ce projet.

«Il est possible de discriminer sans en avoir conscience.» Yannick L’horty

Ce projet dirigé par Yannick L’Horty traite de la question de l’accès à l’enseignement supérieur au niveau master, mais aussi de l’accès à l’emploi, par le biais d’une étude présentée hier, qui utilise une méthode dite de “testing”. Ce test consiste à utiliser trois profils fictifs : un candidat de référence (nom et prénom “franco-français”), un candidat indiquant être en fauteuil roulant, ainsi qu’un candidat avec un nom et prénom à consonance maghrébine. Le directeur de l’observatoire affirme que plus de 1800 demandes d’informations ont été envoyées aux responsables de plus de 600 masters en mars 2021.

Il ajoute qu’un minimum d'organisation est nécessaire dans ce type de pilotage. C’est pourquoi il existe trois comités distincts : un comité de pilotage, un autre d’une vingtaine de chercheurs et chercheuses et un comité scientifique composé de juristes, sociologues ou encore économistes. Y.L’Horty assure que les discriminations ont une spécificité : “c'est l’une des violences les plus difficiles à détecter car l’une des moins visibles. En outre, le discriminé n’est pas toujours un bon témoin de discrimination et le discriminant n’est pas forcément conscient du fait qu’il discrimine, en raison des stéréotypes et des biais inconscients.”

«L’isolement des décideurs entraîne plus de discriminations.» Yannick L’horty

Quel est le constat de l’étude ?

  • Très peu de réponses négatives. Les établissements ont répondu positivement ou ont laissé les candidats sans réponse.
  • Beaucoup moins de discrimination à l’encontre du candidat en situation de handicap, que de celui portant un prénom nord-africain.
  • Le taux de réponses le plus élevé est de 69,7 % et il est obtenu par le candidat d'origine française sans handicap.
  • Le candidat d’origine maghrébine obtient 61,1 % de réponses positives, ce qui est le score le plus bas des trois.
  • Les filières avec une importante attractivité de l’emploi sont les plus discriminantes.
  • La discrimination est surtout statistique et est aggravée par la méthode de recrutement de l’école.

Formations attractives et discrimation vont de pairs

En effet, les injustices seraient plus élevées lorsque le responsable est seul à décider. L’étude démontre aussi que l’attractivité de la formation joue sur le profil des recrues : "grâce à l'observation des données selon les filières et à un questionnaire que nous avons ensuite envoyé aux responsables, nous avons identifié plusieurs facteurs de risques. Plus un master est attractif, et donc très sélectif, plus le risque est important. Il apparaît aussi que là où la sélection des dossiers est faite par des individus isolés et non dans le cadre d'un processus collectif, le risque de discriminer est plus important", selon Yannick L'Horty.

Les formations juridiques seraient les plus concernées par ces discriminations. Toujours d’après l’étude disponible sur le site de l’UGE, les filières les plus discriminantes sont celles qui reçoivent le plus de candidatures et qui offrent les meilleures prétentions salariales, en plus de nombreux débouchés. De ce fait, les discriminations seraient-elles volontaires ?

“Nous sommes une micro équipe à animer cet observatoire. Si l'on veut observer les discriminations, il est nécessaire de se munir d’un appareillage spécifique. Il en existe de très précieux, comme le signalement spontané ou spécifique et le testing, qui permet d’observer directement le comportement des discriminants. Le problème des signalements est qu’ils reposent sur des observations, or les discriminés et les discriminants n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils subissent ou font subir. Il peut y avoir des biais de non représentation et de non observation”, affirme Yannick L’horty.

Ainsi, un étudiant peut se sentir discriminé, alors qu’il ne l’a pas été réellement. À l’inverse, un autre peut être discriminé sans le remarquer. La définition même de ce qu’est une discrimination ne semble pas claire pour tout le monde. “Les économistes se posent des questions sur la rationalité du marché de l’emploi en cas de discrimination. Les violences sexuelles et sexistes existent bien dans l’enseignement supérieur. En effet, les tests que nous faisons depuis des années montrent qu’il y a un risque de discrimination dans l'enseignement public”, atteste la direction de l’observatoire.

L'#UnivEiffel lance son Observatoire National des Discriminations et de l'Égalité dans le Supérieur (#ONDES).À cette occasion, découvrez la première étude réalisée sur les #discriminations dans l’accès aux #masters ➡️ https://t.co/l6ey2ZP2Cgpic.twitter.com/7KYR5uYpWr

— Université Gustave Eiffel (@UGustaveEiffel) February 15, 2022

Des résultats peu encourageants qui n’ont pas surpris l’auditoire

Alors que Virginie Laval, présidente de l’université de Poitiers et membre de la CPU (Conférence des Présidents d'Université), souligne “des résultats décevants qui montrent que la discrimination existe”, d’autres intervenants comme Nicolas Kanhonou, directeur de la promotion de l'égalité et de l'accès aux droits chez la Défenseure des droits et Laurine Chabal, vice-présidente de la FAGE, ne sont pas du tout surpris par le triste bilan de cette étude.

«L’université devrait être un lieu d’émancipation pour les jeunes et non un lieu discriminant.» Virginie Laval

La représentante de la Fédération des Associations Générales Étudiantes révèle qu’un jeune sur trois rapporte avoir été discriminé à l’emploi et qu’il existe une “certaine omerta sur ces questions”. Elle poursuit : “concernant les résultats du test sur l’étudiant en situation de handicap, les chiffres sont étonnants, on s’attendait à beaucoup plus de discrimination, mais elle s’opère certainement plus tôt dans les études, c’est-à-dire avant le master. Il y a un gros travail à faire sur la formation, à la fois des étudiants et du processus pédagogique afin d’être le plus objectif possible.”

La jeune femme rappelle qu’il existe des handicaps invisibles et que beaucoup n’osent pas le déclarer à leur établissement de formation. “L’université devrait être un lieu d’émancipation pour les jeunes et non un lieu discriminant”.

N.Kanhonou, quant à lui, est convaincu de l’importance de mesurer les phénomènes de discrimination, notamment dans la sphère du travail. Toutefois, il voit plusieurs limites à cette étude : “les discriminations bénéficient d’un appareillage juridique quasi-inexistant. Elles se produisent à plusieurs endroits, or, le testing est axé sur un lieu en particulier. Cette étude montre l’ensemble des barrières à l’entrée, mais ne montre pas ce qui se passe après. À propos des filières en tension, est-ce que dire que plus un cursus est sélectif, plus il discrimine ce n’est pas, quelque part donner un argument qui justifie la discrimination ?” 

Pour mémoire, voici ce que déclarait le Défenseur des droits, dans un communiqué de presse, le 31 mai 2020 : “derrière l’apparente neutralité des algorithmes, des recherches ont mis à jour l’ampleur des biais qui peuvent intervenir lors de leur conception et leur déploiement. Tout comme les bases de données qui les alimentent, ils sont conçus et générés par des humains dont les stéréotypes, en se répétant automatiquement, peuvent engendrer des discriminations.” En partenariat avec la CNIL, il préconisait notamment de former et sensibiliser les professionnels des métiers techniques et d’ingénierie informatique aux risques que les algorithmes font peser sur les droits fondamentaux.

D’ailleurs, selon les propos de G.Pau-Langevin, le fonctionnement de la plateforme Parcoursup® a donné lieu à plusieurs interventions du Défenseur du droit.

Faut-il réformer le système universitaire français pour aller vers un modèle plus “british” ?

Face à ces constats, plusieurs pistes d'améliorations sont proposées par les intervenants. V.Laval a suggéré un financement massif des différents cursus en tension en mentionnant son soutien à la mise en place d’une plateforme numérique unique pour l’entrée en master, ainsi qu’une date unique de candidature. “Tous ceux qui sont en mesure d’agir doivent se saisir de ce rapport. La FAGE se tient à la disposition de l’UGE pour travailler ensemble et faire avancer les choses dans le bon sens. C’est tout le schéma de recrutement qui doit être questionné avec cette étude”, clame t-elle.

Pour l'ONDES, “en France, il n’y a pas de jalon à l'entrée, contrairement au modèle anglo-saxon où les prix sont libres. De facto, les anglais sont plus lâches sur les critères de sélection. Quand les prix sont rigides, il y a plus de sélectivité.”

«Les universités n’ont pas été construites comme il fallait.» Caroline Trotot

De son côté Nicolas Kanhonou, qui travaille à la Défense des droits, affirme que l’expérience l’a prouvé : “mesure, prévention et sanction” fonctionnent bien et les comportements peuvent changer. 

“On a besoin d’outils pour connaître et reconnaître que ça existe, savoir comment ça fonctionne et travailler sur ces questions, en somme, faire respecter le droit. On sait qu'avoir confiance, c’est essentiel pour la réussite, donc si on ne vous accompagne pas en vous donnant toutes les informations nécessaires, alors que vous êtes issus d’une minorité déjà discriminée ou qui a souffert par le passé, ce n’est pas l’égalité des chances. Les universités n’ont pas été construites comme il fallait, il y a un gros travail à faire”, conclut Caroline Trotot, vice-présidente Égalité de l’université qui a accueilli cette rencontre. 

Que cela soit pour le recrutement ou pour lutter contre les inégalités, tous constatent que la question des discriminations ne doit pas se gérer individuellement, mais bien collectivement.

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