Effet d’aubaine pour les uns, levier d’insertion professionnelle pour d’autres : le dispositif de l’apprentissage est duel et a été au centre des conversations gouvernementales ces derniers mois.
En perspective : un coup de rabot en plusieurs temps sur les dépenses liées à l’apprentissage. En mai 2024, le bal a été ouvert avec la suppression de l’aide à l’embauche de 6 000 euros pour tous les contrats de professionnalisation.
La réforme de 2018 — agrémentée des aides à l’embauche d’apprentis lancées en 2020 et poursuivies jusqu’en 2024 — a eu pour effet une explosion du nombre de contrats d’alternance signés. Toutefois, l’accès à l’alternance n’est pas homogène pour l’ensemble de la population étudiante. La dernière étude de l’ONDES met la lumière sur la condition des femmes voilées au moment de trouver une entreprise d’accueil.
2 000 PME parisiennes testées
Pour collecter ses résultats, l’Observatoire national des discriminations et de l’égalité dans le supérieur (ONDES) a créé des candidates fictives, toutes de nationalité française, titulaires d’un bac STMG obtenu en 2023 et en première année de BTS Comptabilité-Gestion - « une formation très répandue, présente dans toutes les entreprises et tous les secteurs d’activité », explique le rapport.
Les personas créées signalent tantôt une origine maghrébine — Sofia Cherif, Yasmine Saïdi, Sara Belkacem et Nadia Ali — tantôt une origine franco-française : Emma Martin, Léa Bernard, Manon Durand et Clara Richard. À partir de ces identités, des paires de candidatures spontanées ont été envoyées à 2 000 entreprises parisiennes, comptant entre 12 et 389 salariés.
Parmi ces duos, des candidates étaient aléatoirement voilées et non voilées, indépendamment du patronyme. Au total, 4 000 candidatures ont été transmises.
Le port du voile réduit de 80 % les chances de signer un contrat d’alternance
« L’étude ne met pas en évidence de différence selon l’origine des candidates. En revanche, le voile est associé à une forte pénalité dans l’accès à un contrat de travail : il diminue de plus de 80 % les chances d’obtenir une réponse positive à une candidature spontanée pour un contrat d’apprentissage », concluent les chercheurs.
En France, il n’est pas obligatoire de mettre sa photo sur son CV. Cependant, c’est une pratique de plus en plus répandue et certains recruteurs avouent ne pas accorder de temps aux candidatures qui n’affichent pas de photo.
Dans le détail, les données collectées démontrent que les candidates portant le voile reçoivent près de deux fois moins de réponses non négatives que leurs homologues sans voile, et ce, qu’elles soient d’origine française ou maghrébine.
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Qu’est-ce qu’une réponse dite « non négative » ? Dans le cadre de l’enquête, les recruteurs ont répondu de différentes façons. Les voici :
- Réponses négatives :
- Le recruteur indique une erreur de correspondant
- Le recruteur indique qu’il n’y a pas de poste pour une apprentie comptable ou qu’il est dans l’impossibilité de prendre la candidate
- Réponses non négatives :
- Le recruteur guide la candidate vers un site internet pour postuler
- Il la prévient qu’il transférera son dossier aux collègues
- Il lui indique qu’il conserve sa candidature
- Il lui demande des informations complémentaires
- Le recruteur lui propose un rendez-vous dans les locaux de l’entreprise ou en visioconférence : là, il s’agit clairement d’une réponsepositive
Quand on se penche sur la répartition des réponses positives, lesquelles proposent un entretien après avoir pris connaissance du CV, les disparités sont plus claires : « La part de réponses positives est proche de 0 pour les candidates portant le voile, alors qu’elle est de 13 % pour la candidate d’origine française sans voile et de 8 % pour la candidate d’origine maghrébine sans voile. »
En bref, associé à une femme d’apparente origine franco-française ou maghrébine, le port du hijab réduit drastiquement les chances d’être contacté par une entreprise, au moment de chercher une alternance.
L’originalité de l’étude de l’ONDES réside également dans l’absence d’effet de l’origine maghrébine qu’elle constate, sur les taux et la nature des réponses des recruteurs, par rapport à des profils franco-français. D’ordinaire, dans la littérature académique sur les discriminations, l’origine maghrébine suffit à elle seule à réduire ses chances sur le marché du travail.