Vous avez certainement déjà entendu parler du programme Erasmus+, n’est-ce pas ? Et pour cause, l’European Community Action Scheme for the Mobility of University Students, lancé en 1987, est un pur produit de l’institutionnalisation de la mobilité en Europe.
Selon les chiffres du dispositif Campus France, publiés en mars 2021, La France est le sixième pays d’origine des étudiants en mobilité diplômante sur la planète, derrière la Chine, l’Inde, l’Allemagne, le Viêtnam et la Corée du Sud. On pourrait croire que ce rang est une bonne nouvelle, cependant, l’organisation environnementale The Shift Project, a dressé plusieurs constats alarmants. Premièrement, l’énergie ne sera pas disponible de manière infinie. Ensuite, les déplacements lointains, même s’ils sont moins nombreux, font autant de kilomètres et ont une empreinte carbone équivalente aux trajets plus courts, dès lors qu’ils sont reliés par des moyens de transport fortement carbonés. Qui sont les coupables ? Sans surprise, l’avion et la voiture émettent respectivement 54 et 44 % de gaz à effet de serre, tandis que le train, lui, en France en tout cas, représente à peu près 10 à 12 % des trafics et émet très peu.
En parallèle, de nombreuses grandes écoles de commerces ou de gestion rendent obligatoire la mobilité internationale et ouvrent toujours plus de campus partout dans le monde. Dans ce contexte, quelles sont les solutions pour remplacer l’avion ? Est-ce réellement essentiel de réaliser une mobilité longue distance ? Est-il possible pour les étudiants de voyager sans contribuer à la destruction de leur biotope ? Pour répondre à ces questions, Diplomeo est allé à la rencontre de celles qui agissent dans l’ombre afin d’éclairer nos lanternes.
Une prise de conscience indispensable de l’enseignement supérieur
« Je pense qu’on peut voyager loin sans avion », déclare Clémence Vorreux, coordinatrice Enseignement supérieur et recherche — Politiques de mobilité, au sein du Shift Project. Elle est co-autrice du rapport « Mobiliser l’enseignement supérieur pour le climat », publié en 2019 et « Former l’ingénieur du XXIe siècle », publié en mars 2022.
Pour elle, les acteurs du supérieur doivent prendre conscience de leur impact et comprendre comment le maîtriser : « La mobilité longue distance estudiantine reste essentielle, car on est dans la découverte de soi, on apprend plein de choses, c’est très important d’un point de vue culturel. » Toujours est-il que la dernière étude publiée par le Shift Project révèle que les aéronefs sont beaucoup moins utilisés que le train ou la voiture. Pourtant, ils polluent deux fois plus. De ce fait, l’association française ne prône pas forcément d’interdire aux étudiants de voyager, mais plutôt de s’assurer qu’ils n’en fassent pas une routine. « À l’Insa de Lyon, les étudiants qui partent à l’étranger font leur bilan carbone pour savoir ce qu’ils émettent, puis cherchent des mesures pour compenser. », souligne la coordinatrice enseignement supérieur et politiques de mobilité, qui encourage vivement les jeunes à réfléchir à des manières de diminuer leur empreinte.
« L’excellence des grandes écoles ne doit plus se mesurer par le nombre de kilomètres parcourus en avion. » Clémence Vorreux, coordinatrice Enseignement supérieur et Recherche
Si les étudiants doivent connaître les conséquences de leurs déplacements, il en va de même pour les directions. « Il y a une vraie réflexion à faire autour des écoles qui sont en train d’ouvrir un campus à Dubaï ou ailleurs, sauf si la logique est d’avoir une filiale sur place pour que les habitants puissent s’y rendre », ajoute Clémence Vorreux. Est-il réellement utile de développer des sites internationaux dans les quatre coins du globe ? « L’excellence des grandes écoles ne doit plus se mesurer par le nombre de kilomètres parcourus en avion. Des critères comme l’ouverture à l’international ne doivent plus constituer l’alpha et l’oméga des classements et labels. », poursuit la coordinatrice. Les étudiants devraient pouvoir aller à la découverte de nouvelles cultures par d’autres moyens : « Pour un départ en Russie par exemple, il faut leur montrer qu’ils peuvent prendre le Transsibérien et que ça fait partie de l’expérience. »
Les transports ferroviaires semblent être un bon remède aux engins volants : « De nouvelles offres comme des trains de nuit et même de jour vont se développer. On peut citer le TGV de jour direct de Paris à Berlin, qui va être proposé en fin d’année prochaine. », soutient Béatrice Jarrige, cheffe de projet Mobilité à longue distance au Shift. Chargée du rapport « Voyager bas carbone » paru en avril dernier, elle précise qu’il y a une spécificité française, qui oblige les étudiants à aller faire une période à l’étranger, généralement très loin. Effectivement, plusieurs écoles de management ou de commerce nous ont confirmé le caractère obligatoire de la mobilité transnationale, pour valider son diplôme. Toutefois, ce n’est pas une exigence partout. Une question reste alors en suspens : quelle est l’intercurrence écologique aux voyages hors Europe ?
Des solutions limitées géographiquement et énergétiquement
Encourager les encadrants à aider les étudiants dans une organisation de voyage différente, c’est l’un des objectifs que se donne le laboratoire d’idées, né en 2010. Cette conscientisation n’a pas échappé aux écoles d’ingénieurs. Polytech Montpellier compte doubler la durée des mobilités internationales dans quelques années, ce à quoi adhère totalement Béatrice Jarrige : « C’est très intéressant que les voyages en Europe ou internationaux soient longs. C’est le fait de se déplacer qui a des inconvénients en termes d’émission de gaz à effet de serre, donc il faut limiter leur nombre, prévoir de rester plus longtemps sur place et de ne pas pouvoir rentrer pour les vacances ». En revanche, l’avion s’avèrera toujours incontournable pour quitter le vieux continent.
« Si on peut aller un peu moins aux États-Unis et au Canada et un peu plus en Europe, c’est une bonne chose d’un point de vue environnemental. » Béatrice Jarrige, cheffe de projet Mobilité à longue distance
Selon Béatrice Jarrige, une solution à la mobilité internationale serait donc de voyager en train et idéalement, en Europe : « On ne conteste pas que l’avion soit indispensable sur un certain nombre de destinations. Par contre, pour les voyages étudiants, si on peut aller un peu moins aux États-Unis et au Canada et un peu plus en Europe, c’est une bonne chose d’un point de vue environnemental. »
De surcroît, la co-autrice du rapport « Voyager bas carbone » affirme qu’il faudrait développer le plus de partenariats européens possible, le tout, sans interdire totalement la mobilité internationale. En outre, il faudrait pouvoir n’utiliser que les voies ferrées pour se déplacer sur le continent. Par conséquent, « les offres doivent être proposées à des tarifs attractifs, en particulier pour les étudiants. Pour autant, devoir arrêter de voyager hors Europe ne durera pas ad vitam aeternam. C’est seulement pour un temps. », rassure Béatrice Jarrige. En effet, des carburants de nouvelle génération pour l’aérien devraient se déployer dans quelques années. En revanche, ces alternatives ne pourront se développer à grande échelle, nous informent nos deux spécialistes, car elles ne feront que réduire de peu l’incidence de l’aviation.
Pour information, sachez qu’il est déjà possible de planer dans les airs avec des agrocarburants ou même de l’huile de friture usagée, en témoigne ce podcast sur l’expérience menée le 29 mars avec un A380. Oui, vous avez bien lu ! L’Airbus a volé pendant trois heures à l’huile de cuisson, entre Toulouse et Nice. Néanmoins, les quantités disponibles de ce type de carburant sont très faibles. D’autre part, ces innovations mobiliseront des ressources en concurrence avec d’autres besoins, notamment alimentaires. En résumé, s’il devait y avoir des quotas de voyages carbonés, les étudiants seraient probablement les prioritaires, à condition d’adopter la sobriété énergétique comme nouveau mode de vie.
Un changement de paradigme et de mœurs est inévitable : chaque voyage doit compter
Pour Clémence Vorreux, la mobilité universelle n’est pas un problème. En faire un habitus en est un. « Ceux qui partent le plus au cours de leurs études sont issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Bien avant d’arriver à l’école, ils prennent l’habitude de prendre l’avion avec leurs parents pour partir en vacances et une fois un an passé à l’étranger, ils y prennent goût et n’arrêtent pas de repartir. » Par ailleurs, dans la Revue française d’économie, publiée en 2017, Nathalie Havet, enseignante-chercheuse à l’université Claude Bernard Lyon 1, ISFA, a indiqué que les boursiers qui partent dans le cadre d’Erasmus ne représentent que 1,4 % de la population étudiante française. Aller à l’étranger dans le cadre de ses études n’est donc pas à la portée de tous.
La coordinatrice politiques de mobilité du Shift appelle à une écoconscientisation de l’impact de ses vacances et à une certaine déconstruction des mentalités. « Cette acculturation au fait que les vacances passent forcément par l’avion et par le parcours d’une longue distance, c’est ça qu’il faut changer. », stipule-t-elle. Le voyage doit avoir un sens. Clémence Vorreux confirme les propos de sa consœur : « Rester un an ou un semestre sur place est plus intéressant pour les étudiants que partir deux semaines à l’autre bout du monde, en termes de rentabilité, de valeur du voyage et de carbone dépensé. »
Protéger la nature et être mobile à l’international, c’est donc conciliable, à partir du moment où le séjour a été mûrement réfléchi. Finalement, tout n’est qu’une question de proportion et d’équilibre à garder.