Parcourir à vélo les écoles Polytech Sorbonne, Paris-Saclay, Orléans, Tours,Clermont, Lyon, Marseille et Montpellier, c’est ce qu’ont réalisé deux Québécois de l’université de Sherbrooke du 18 mai au 7 juin dernier. Le réseau Polytech entend, par cette opération, exhorter à la mobilité internationale écoresponsable, mais également faire connaître la bourse Polytech Green. Cette bourse est accordée aux étudiants ayant un projet de mobilité internationale lié à la transition environnementale et avec des moyens de transport écologiques.
« À titre d’exemple, une étudiante qui partira étudier en Norvège fera le déplacement en train. Elle fera trois ou quatre haltes pour, par exemple, observer une ville sous un angle écoresponsable et y détecter les bonnes pratiques pour changer de mode de vie. », annonce un communiqué des écoles d’ingénieurs. 20 % de la bourse Polytech Green est attribuée à des mobilités vers le Québec, choisi, car « précurseur en matière d’écoresponsabilité », indique la note.
Mais alors, les mobilités douces vont-elles réellement de pair avec les déplacements transnationaux ? Les jeunes sont-ils enthousiastes à cette idée ? Éric Anglaret est enseignant-chercheur en sciences des matériaux et physique des matériaux à Polytech Montpellier : école d’ingénieurs interne de l’université de Montpellier. Il est directeur adjoint de l’école, chargé des relations internationales et pilote le programme Polytech Green. Pour Diplomeo, il a accepté de revenir en détail sur ce projet.
Pourquoi avoir lancé le projet de bourse Polytech Green ?
Notre Commission des titres d’ingénieur (CTI), qui nous a habilités à délivrer le diplôme d’ingénieur, demande à ce que chaque élève réalise une mobilité internationale d’au moins un semestre pour les étudiants et un trimestre pour les apprentis. Par ailleurs, lorsque l’on fait le bilan carbone de nos écoles, on constate que la partie principale de cette empreinte est liée aux transports, pour moitié aux trajets du quotidien domicile-école et pour l’autre moitié, justement, aux mobilités internationales des étudiants. On s’est dit qu’il fallait vraiment trouver un moyen de concilier ou de réconcilier mobilité internationale et empreinte carbone.
La mobilité internationale est-elle essentielle dans le parcours des étudiants ?
Tout d’abord, elle est obligatoire. Nous avons donc des recommandations dans toutes les écoles d’ingénieurs. La commission du titre d’ingénieur l’impose, que l’on soit d’accord ou pas.
À titre personnel, évidemment qu’elle est importante. Je ne sais pas si elle doit être obligatoire, mais je considère qu’elle est majeure dans la formation et dans leur métier de demain. Dans un monde mondialisé comme celui-ci, elle est nécessaire pour apprendre d’autres cultures, d’autres manières de travailler et pour connaître les autres, pour respecter les autres. Je trouve que c’est monter et mener un projet en soi que de préparer et de réaliser sa mobilité internationale.
« Avant la Covid, on n’était pas encore à la mobilité obligatoire à Montpellier et on avait quand même 75 % d’étudiants mobiles. »
Les étudiants de Polytechnique manifestent-ils un désir de mobilité nationale ou internationale ?
Avant la Covid, on n’était pas encore à la mobilité obligatoire à Montpellier et on avait quand même 75 % d’étudiants mobiles. Beaucoup d’entre eux ont insisté pour aller à l’étranger pendant cette période, mais on leur a demandé de repousser jusqu’à la dernière limite. À présent, la mobilité est obligatoire durant un semestre, alors qu’auparavant la période était courte. Un semestre universitaire dans les études, c’est de l’ordre de 17 à 18 semaines. En Europe, un semestre est un peu plus long qu’au Québec.
Travaillez-vous avec d’autres écoles d’ingénieurs afin qu’elles sensibilisent aussi leurs étudiants à ce changement de mode de vie ?
Le réseau Polytech s’est engagé et a signé une charte DDRS (Développement durable et responsabilité sociétale, NDLR), il y a maintenant 18 mois. Évidemment, on est tous concernés, puisque l’Europe s’engage à être le premier continent carbone neutre en 2050. En outre, le programme Erasmus affiche comme priorité l’écologie et l’inclusion. On partage beaucoup de choses sur le réseau Polytech. Quand on parle de l’international, on partage la mise en place et l’accompagnement de ces mobilités sur le réseau. On avait déjà des programmes de bourses, en particulier Erasmus, mais qui ne mettaient pas l’accent sur le développement durable.
Aujourd’hui, on a un programme qui démarre de manière modeste, mais qui a vocation à se développer et à accompagner nos étudiants vers des mobilités plus écoresponsables. On sait que d’autres écoles y travaillent également. À ce sujet, on a récemment lu le rapport Shift Project sur leurs engagements. Nous mettons des règles en place pour que les étudiants puissent bénéficier d’ores et déjà des bourses. Et nous avons des idées pour travailler non seulement sur les voyages, mais également sur les séjours et pour l’ensemble de la mobilité internationale.
Quelle distinction faites-vous entre le voyage et le séjour ?
Le voyage, c’est le trajet. En Europe, les étudiants qui bénéficient de la bourse Polytech Green ne peuvent prendre ni l’avion ni la voiture individuelle. On privilégiera plutôt un moyen de transport moins impactant, comme le train, le bus ou le covoiturage. Pour ce qui est du Québec, puisque c’est notre principale destination hors Europe, nous envisageons d’y aller en cargo. Pour l’heure, les étudiants vont être obligés de prendre l’avion et sur place, durant leur séjour, on leur a demandé de se renseigner sur des logements, des transports locaux, des moyens de s’alimenter en local. On les incite dans tous les cas, que ce soit en Europe ou au Québec, à choisir des thèmes d’études et de stages en lien avec la transition écologique.
« Je suis partisan de ne pas interdire les mobilités, mais plutôt de les accompagner et les encadrer. »
On comprend bien l’idée de donner l’exemple par votre opération tour à vélo, mais ça ne va pas être trop compliqué de partir à bicyclette de Clermont à Montréal ?
Évidemment il s’agit avant tout d’un symbole pour alerter et informer, et même si cela ne va pas impacter fortement l’empreinte écologique des voyages transatlantiques, je me réjouis du succès de cette initiative et des prises de conscience individuelles et collectives qu’elle a généré. J’ai fait la première étape avec eux. On a roulé entre Sorbonne et Saclay. L’accueil des étudiants, des enseignants, des gens qu’on croise sur le passage, était impressionnant. Tout le monde se sent concerné, les gens ont envie de nous accompagner.
Lorsque les deux cyclistes se sont arrêtés à Orléans, ils ont participé au Vélotour et ont pu échanger avec le président de région. Plusieurs collègues qui n’avaient pas fait de vélo depuis 20 ans vont s’y remettre. S’il y a une prise de conscience, ne serait-ce que d’un certain nombre, qui laissent leur voiture pour se rendre à vélo au boulot, on aura déjà gagné quelque chose !
Ne faudrait-il pas limiter la mobilité internationale ?
Je suis partisan de ne pas interdire les mobilités, mais plutôt de les accompagner et les encadrer. Par exemple, en faire une longue pendant toutes les études au lieu d’en faire deux courtes. Il est difficile aujourd’hui, quand on sort de l’Europe, de ne pas émettre beaucoup de carbone. Nous devons donc travailler sur le séjour, mais travailler de façon plus globale sur l’ensemble de l’empreinte carbone pendant les études d’ingénieurs. Je pense qu’on peut collectivement réduire cette empreinte, sans pour autant aller vers des solutions radicales, comme interdire aux étudiants de bouger.
On va d’abord montrer l’exemple, on va voyager différemment. Mais je crois que l’enjeu est aussi de rester connecté avec les autres cultures, d’aller apprendre ailleurs, de rester dans un monde où les gens se parlent et apprennent de leurs différences. Pour ce faire, il faut qu’on travaille tous ensemble. Polytech Green nous donne un joli laboratoire pour réfléchir à ces questions. Sur l’ensemble du réseau Polytech, la mobilité étudiante est de trois mois en moyenne. Par contre, d’ici deux ans, cela devra être un semestre, c’est-à-dire entre quatre et cinq mois, toutes les écoles devront s’aligner sur les recommandations de la CTI. On a l’intention de doubler la durée moyenne de mobilité dans quelques années.