La France se dirige vers « une libéralisation de l’enseignement supérieur ». C’est ce que dénonce l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), dans son bilan de l’orientation du premier quinquennat du président Emmanuel Macron, publié la semaine dernière.
Nombre de places insuffisantes sur Parcoursup, baisse du nombre de candidats en licence, sélectivité renforcée en master… le syndicat étudiant a passé au crible les cinq dernières années des politiques menées dans l’enseignement supérieur. Ils font état d’un bilan « désastreux ».
« Si la mise en place de Parcoursup était présentée comme un simple changement d’algorithme, cette réforme était en réalité l’occasion d’une transformation radicale de la philosophie de notre enseignement supérieur, avec l’introduction de la sélection à l’entrée de la licence », indique l’UNEF.
🔴 Sortie de notre dossier de presse qui fait le bilan de 5 ans de sélection sous @EmmanuelMacron !➡️ Ce bilan, c’est : #parcoursup, plus de sélection, des milliers d’#EtudiantsSansMaster en souffrance, des places supprimées même dans les filières sous tension,↗️ du privé pic.twitter.com/W4yepcSPYL
— UNEF (@UNEF) September 23, 2022
Le nombre de places dans l’enseignement public globalement réduit
D’après le syndicat étudiant, les structures universitaires ont perdu plus de 6 000 places sur deux ans. Puis, des licences et des BTS, souvent très demandés, ont aussi vu leurs capacités d’accueil diminuer.
Plus de 6000 places en moins à l’université en licence entre 2019 et 2021, selon l’UNEF
Dans son bilan, l’UNEF précise que 9 500 places supplémentaires avaient été annoncées au total en licence pour les rentrées universitaires 2020 et 2021. Pour l’asso étudiante, l’inverse s’est produit : les facultés ont perdu 6 006 sièges entre 2019 et 2021.
Deux filières en tension sont particulièrement concernées : la licence de psychologie et celle de STAPS. Dans le détail, entre 2018 et 2021, il y a respectivement une hausse de 66 % et de 39 % dans ces cursus alors que le nombre de places a diminué de 968 pour l’un et de 1 648 pour l’autre.
Par ailleurs, l’association française des étudiants a réalisé un classement des 67 universités de France métropolitaine et des DOM-TOM, selon leur capacité d’accueil en première année de licence. Toujours sur la période 2018-2021, on constate des disparités territoriales.
Si Paris 1 Panthéon-Sorbonne (+1792), l’université de la Réunion (+1197) et Rennes II (+730) ont gagné des places d’accueil pour les néo-bacheliers et les réorientés, 41 structures universitaires sur les 67 classées en ont perdu. Sur le podium, les grandes perdantes sont l’université d’Orléans (-7975), l’université des Antilles (-2005 en Guadeloupe et -1755 en Martinique) ainsi que l’université de Pau et des Pays de l’Adour (-1636).
L’UNEF justifie l’augmentation des capacités d’accueil par le développement de l’enseignement à distance. « À Paris 1, l’essentiel de la hausse des capacités d’accueil s’explique par l’apparition sur Parcoursup de la licence en droit de l’IED, l’institut d’études à distance de l’école de droit de la Sorbonne », souligne l’association.
Ils poursuivent : « Si l’on enlève du calcul les formations à distance pour Paris 1, on constate que l’augmentation des capacités d’accueil n’est que de 242 places et non plus 1 792. De même pour Rennes 2, où les capacités d’accueil en présentiel n’augmentent que de 20 places en réalité ».
🔶 En licence, les capacités d’accueil ont baissé même dans les filières sous tension, malgré la hausse démographique et la multiplication des demandes. Des places ont été supprimées dans 41 universités sur 67 depuis 2018 ! pic.twitter.com/fX966IflzP
— UNEF (@UNEF) September 23, 2022
Moins de places en PASS/LAS depuis la réforme du Paces
Il y a maintenant deux ans, étudier en médecine a pris une tout autre direction. Exit le concours et le « numerus clausus », la première année commune aux études de médecine (Paces) a tiré sa révérence. Désormais, pour exercer dans le secteur de la médecine et de la santé, il existe deux voies : le Parcours Accès Spécifique Santé (PASS) et la licence Accès Santé (LAS).
L’UNEF affirme qu’il y a eu un changement drastique depuis la réforme du Paces. « Le nombre de places en première année PASS/LAS n’a pas été augmenté, contrairement aux annonces du gouvernement », assène le syndicat. 481 places « ont été supprimées partout en France entre 2018 et 2021, avec une baisse significative de 3 316 places entre 2020 et 2021 », lit-on dans le bilan.
Chute drastique des places en BTS, en dépit des annonces gouvernementales
Dans l’enseignement supérieur comme au lycée, de nombreux aménagements ont eu lieu, dû à la crise sanitaire liée au Covid-19. En 2021, le baccalauréat a été majoritairement évalué en contrôle continu et le taux de réussite à l’épreuve a été inédit, avec 90,5 % d’admis au premier tour (puis 93,8 % à l’issue des rattrapages).
Face à cette hausse du nombre de bacheliers et à l’afflux du nombre de jeunes nés dans les années 2000 — 761 464 naissances en 2003, contre 738 000 en 1998, selon l’Insee —, l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait annoncé la création de 5000 places supplémentaires en BTS à la rentrée 2021. L’UNEF a constaté, qu’à contrario, il y a eu une baisse de la capacité d’accueil dans le public en BTS, avec 1244 places en moins par rapport à 2020, au profit du secteur privé. Ce dernier « s’est considérablement développé en profitant de la demande et du manque de place dans le public ».
1 étudiant sur 4 s’inscrit dans le privé
Le premier quinquennat du président de la République est marqué par une augmentation « significative » des étudiants dans le privé, selon l’UNEF. En effet, le syndicat parle d’une hausse de 41,7 % de la population estudiantine inscrite dans une formation du privé depuis 2017, contre seulement 3,3 % d’augmentation dans le public.
Le syndicat, circonspect face à la hausse des admissions, dénonce aussi une hausse de 15 % du budget de l’État pour les formations privées depuis 5 ans, de 79 millions en 2018 à près de 94 millions cette année. Si les écoles supérieures privées sont de plus en plus prisées des étudiants, c’est notamment grâce au développement de l’apprentissage et des aides de l’État pour les entreprises, instaurées au moment de la pandémie.
Avec ce système, les écoles privées proposant des frais de scolarité élevés, pas toujours adaptés à tous les profils d’étudiants, sont pris en charge par les entreprises pour les étudiants en alternance. De fait, les effectifs dans ces établissements ne cessent de croître, passant d’un étudiant sur 5 il y a quelques années à un étudiant sur 4 en 2021-2022.
Le déploiement des formations en alternance n’est pas l’unique raison, d’après l’UNEF. La baisse des capacités d’accueil est également pointée du doigt. « Faute de place dans le public, de nombreux étudiants se tournent vers des formations privées, certaines accessibles sur Parcoursup ».
Pour eux, « l’enseignement supérieur privé est devenu un marché juteux et les publicités pour des formations hors Parcoursup fleurissent (…) c’est un choix idéologique clair du gouvernement qui l’a soutenu via la multiplication des reconnaissances de formations privées sur Parcoursup ou encore l’augmentation des moyens ».
La reconnaissance des diplômes, le label EESPIG (Enseignement Supérieur Privé d’intérêt général) ou encore le grade de licence et de master attirent les jeunes, c’est indéniable. Mais le syndicat rappelle que ces accréditations, comme le diplôme visé par l’État, sont attribuées à des formations et non aux établissements. « Aucun critère concernant le montant des frais d’inscription n’est exigé pour l’attribution de ces visas et grades et de fait de nombreuses formations reconnues ont des frais exorbitants », ajoute l’UNEF.
Hausse des candidats non affectés sur Parcoursup
Sans surprise, le syndicat pointe du doigt la plateforme d’orientation Parcoursup, vivement critiquée depuis sa mise en place en 2018. Le baby-boom des années 2000 avait été anticipé par le SIES (Systèmes d’Information et des Études Statistiques), dès 2010, selon l’association des étudiants. « Le SIES anticipait une hausse de 8,6 % des effectifs sur dix ans, ce qui sera sous-estimé par rapport à la réalité en 2020, mais qui constituait déjà une sérieuse alerte ».
L’UNEF parle d’un nombre de places insuffisant. Par exemple, en 2021, le nombre de places sur Parcoursup hors apprentissage était de 766 905 pour 931 000 candidats inscrits. Dans le public, c’est 648 813 places disponibles pour ces mêmes 931 000 candidats. « Ces données sont d’autant plus frappantes que le nombre de places accessibles sur la plateforme hors apprentissage ne devrait pas seulement être égal au nombre de candidat·e·s souhaitant suivre une formation de ce type, mais très largement supérieur ».
En outre, le syndicat se montre aussi très critique envers le Projet de formation motivé, une sorte de lettre de motivation que doivent rédiger les candidats qui s’inscrivent sur la plateforme, pour chacun de leurs vœux. Pour eux, c’est un « critère de sélection discriminant » car tous les élèves ne sont pas à même de recevoir « une aide extérieure pour la réalisation de cet exercice ». Dans ce contexte, l’UNEF dénonce aussi « l’émergence d’un véritable marché de l’accompagnement à l’usage de Parcoursup avec une aide proposée par des entreprises privées pour réaliser ces différentes démarches avec le candidat ».
Les attendus Parcoursup mettent en évidence des inégalités sociales pour le syndicat étudiant. Qu’il s’agisse de la Fiche Avenir qui « favorise les jeunes issus des milieux les plus favorisés » ou les résultats scolaires qui est « le seul critère pris en considération » sur la plateforme (contrairement à APB), l’UNEF alerte sur une différence de traitement entre les candidats. La « réussite scolaire » serait, à fortiori, « déterminée socialement » et profiterait aux « plus favorisés dans leur admission », notamment dans les filières universitaires sélectives.
Étudiants sans master : une « hausse dramatique »
La communauté étudiante fait face à une véritable bête noire ces dernières années : le refus en master. Le nombre d’étudiants sans master n’a cessé de croître depuis 2020, face à une sélectivité toujours plus accrue et un nombre grandissant d’étudiants qui postulent.
En 2022, « 11 615 étudiant·e·s ont effectué une saisine en 2021, contre 4043 en 2017. Si le nombre de saisines a baissé entre 2021 et 2020, cette baisse reste très légère », note le syndicat.
© UNEF
Parmi les filières en tension, on retrouve la psychologie, mais aussi le droit, l’économie-gestion et les sciences de la vie. « Ce sont en effet les étudiant·e·s ayant une licence dans ces disciplines qui sont les plus nombreux·ses à effectuer une saisine : 3261 saisines d’étudiant·e·s ayant une licence de droit, 1442 de psychologie, 800 de sciences de la vie et 422 d’économie et gestion », insiste l’UNEF. En Île-de-France, un nombre considérable de filières sont, selon eux, « également en tension ».
Pour pallier la problématique, la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, a annoncé, lors d’une conférence de presse sur la rentrée universitaire, la mise en place d’une plateforme nationale pour faciliter l’accès en M1.« Ce sera un guichet unique de dépôt des dossiers de candidature, de consultation des propositions d’admission et d’allocations des places et de réponses des candidats », expliquait-elle. Un dispositif qui sera instauré dès la rentrée 2023 et qui, selon elle, aura une plus « grande efficacité ».