56 % des étudiants ne mangent pas à leur faim selon l’UNEF (Union nationale des étudiants de France). Le coût de la vie étudiante a augmenté de près de 7 % en 2022. C’est ce que révèle la dernière enquête de l’organisation, soit, 428,22 € de plus par an.
Pour répondre à cette problématique amplifiée par la crise de la Covid 19 et plus récemment par l’inflation, le groupe Écologiste-Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) a co-signé une proposition de loi afin de lutter contre la précarité de la jeunesse par la solidarité intergénérationnelle. Les textes sont actuellement discutés en commission avant d’être débattus dans l’hémicycle le 6 avril prochain. Selon la communication de la niche parlementaire du groupe, la grande majorité des organisations de jeunesse et des syndicats étudiants est en faveur de cette loi.
Justement, le syndicat étudiant l’Alternative a organisé ce mercredi une distribution alimentaire à un endroit qui n’est pas anodin : l’Esplanade des Invalides. Quelques députés écologistes, entre autres, se sont joints à cette initiative. Parmi eux, Sophie Taillé-Polian, vice-présidente du groupe Écologiste et rapporteure de la proposition de loi et Jean-Claude Raux, chef de file des écologistes sur la proposition de loi.
Désespérés et en colère : les étudiants parisiens se sont déplacés en nombre
Il est 11 h 45. Plusieurs membres de L’Alternative annoncent que le camion apportant les vivres est retardé et que la distribution ne démarrera pas avant dix minutes. Elle a donc démarré avec une heure de retard sur l’horaire prévu. Mais les jeunes ne se découragent pas. Au contraire, la file ne cesse de s’allonger. Des centaines d’étudiants venant principalement de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sont venus dans l’espoir de récupérer des courses et d’avoir à manger sur la table.
Au milieu du rang, Julien, étudiant en M1 MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) histoire-géographie nous confie avoir un budget de 100 € pour les courses alimentaires. Un budget qui est de surcroît partagé avec sa copine. Il a dû se résoudre à voler dans les grandes surfaces ou faire les poubelles pour se nourrir : « Je pratique le “glanage" depuis la L2. Cela fait un moment que nous étudiants ne voyons pas le bout du tunnel. Ça a commencé bien avant la crise sanitaire.”
“Aller à la fac est en train de devenir un luxe.” Julien, étudiant en M1 MEEF
Comme beaucoup, il soutient la grève contre la réforme des retraites. Ce dernier regrette la décision du gouvernement d’avoir refusé la proposition de généraliser le repas à 1 euro : “J’ai trouvé ça stupide, même si c’est un chiffre symbolique, ça reste 1 euro.” Il a calculé les économies qu’il aurait pu faire en mangeant ce type de repas tous les jours et elles sont conséquentes. Le jeune homme est plutôt pessimiste quant à la suite des événements. “Avec la réforme Parcoursup® et la libéralisation de l’université, aller à la fac est en train de devenir un luxe.”
Étudiant en sciences politiques à Paris 1, Ousmane est également venu faire ses courses pour boucler la fin du mois. Boursier, il essaie autant que faire se peut de se procurer des repas du CROUS lorsqu’il est à proximité d’un restaurant universitaire. En dernier recours il peut compter sur le soutien de ses sœurs pour l'épauler. Sans surprise, son loyer représente la dépense la plus importante pour lui. Mais à l’instar de la majeure partie des étudiants interrogés, il vit en banlieue parisienne. La précision est importante, car les loyers et le coût de la vie sont normalement moins élevés que dans la capitale. Sauf dans les départements proches de Paris comme les Hauts-de-Seine, où certains appartements sont beaucoup plus chers que dans la Ville Lumière.
“Je trouve que le gouvernement nous ignore, car quand il a fallu faire des économies dès le premier mandat, ça a été sur les APL. On sait très bien que cette aide concerne fortement la jeunesse”, explique Ousmane. De plus, il estime que pendant la période des élections présidentielles, la majorité du candidat Emmanuel Macron a démontré qu’elle n’avait aucune idée du salaire d’un étudiant : “C’est un vrai mépris.”, reprend-il. Le fait de parler de “millionnaires” qui vont au CROUS au sujet du repas à 1 euro n’a que renforcé ce sentiment de dédain selon lui. “On voit une complète ignorance de ce qu’est la vie étudiante.”
Originaire du Grand Est, vivre en région parisienne s’est révélé très coûteux pour lui. Il éprouve un sentiment de colère : “le travail de nos professeurs est dévalorisé et nous sommes également méprisés.” Aujourd’hui, il manifeste contre la réforme des retraites, qui pour lui est un élément catalyseur de tous les courroux. Ce dernier 49.3, a été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien plein.
Une centaine d'étudiants font la queue pour récupérer des produits alimentaires.
©Diplomeo
Doctorants, boursiers : tous dans le même bateau de la précarité
Si les étudiants sont particulièrement concernés par la précarité, ce fléau s'abat aussi sur les futurs chercheurs, ainsi que les boursiers de l’enseignement supérieur.
Lucie* touche une bourse doctorale de recherche en histoire de l’art d’un montant de 800 € par mois. En parallèle, elle est chargée de TD et vit avec 900 à 1 000 € par mois “puisque la faculté nous paie six mois après nos TD”. Avec un loyer parisien d’environ 800 €, elle essaie tant bien que mal de trouver des solutions pour combler ses besoins physiologiques. Pour elle aussi, les difficultés n’ont pas démarré en raison de l’inflation ou même de la Covid, mais bien en amont, c’est-à-dire au début de son doctorat. Lorsqu’il n’y a pas de distributions comme celle-ci, elle et bien d’autres se réfugient vers des paniers venant de l’application anti-gaspillage Too Good To Go ou vers des enseignes de hard discount.
Plus que tout, elle aimerait que la loi LPR (Loi de programmation de la recherche) votée en 2020 soit respectée et que la mensualisation des salaires de doctorants puisse être effective. “J’ai donné des cours de septembre à décembre, j’ai eu la moitié de mon salaire en janvier et je viens à peine de percevoir la seconde moitié.” Lucie attend encore sa paie pour les cours qu’elle a donnés en janvier 2023.
Quant à Eva et Auriane, deux étudiantes de deuxième année en licence d’arts plastiques et licence de sciences sociales, même si l’une d’entre elles est en colocation et peut diviser ses frais, les fins de mois restent très difficiles. Parfois, elles se privent même de nourriture et sont contraintes de frauder dans les transports en commun, faute de pouvoir s’offrir un abonnement. D’ailleurs, elles ont quitté le domicile familial uniquement pour se rapprocher de leur établissement, et ce même si leur famille vit en Île-de-France. Les deux jeunes femmes ne sont pas boursières. Malgré tout, elles gardent le sourire : “On essaie de rester positives.”
Auriane et Eva sont ravies de repartir avec deux sacs de courses alimentaires récupérées à la distribution.
©Diplomeo
Toutefois, bonne nouvelle pour les boursiers : le montant de la bourse augmente de 37 € par mois à la rentrée 2023, soit une hausse de 6,2 % pour les échelons les plus hauts.
Proposition de loi des écologistes : la bourse au cœur de toutes les préoccupations
Il est un peu plus de midi. Les deux députés porteurs de la loi “Protéger la jeunesse de la précarité par la solidarité intergénérationnelle”, ainsi que Eléonore Schmitt, secrétaire nationale et porte-parole de l’Alternative, donnent une conférence de presse. Les objectifs de la loi sont clairs : la justice sociale par la solidarité entre plusieurs générations. Pour ce faire, les élus proposent, entre autres, que le RSA soit étendu aux 18 - 24 ans. Elle prévoit également de multiplier par quatre le budget alloué aux bourses étudiantes et de réorganiser en profondeur son système, afin que les montants et les bénéficiaires augmentent.
Pour financer le tout, 16 milliards d’euros de budget sont nécessaires en réformant la fiscalité sur l’héritage qui “supprime plusieurs niches fiscales injustifiées”. Sophie Taillé-Polian, la rapporteure est confiante : “Notre proposition de loi est extrêmement ambitieuse. Elle est soutenue par la Nupes.” La femme politique souhaite que l’État “fasse confiance à la jeunesse”. Notamment en ne rendant pas le SNU obligatoire. Et le gouvernement s’est d’ailleurs rétracté sur ce sujet pour le moment.
“Nous sommes un pays riche qui doit donner toutes ses chances à sa jeunesse” Sophie Taillé-Polian, vice-présidente du groupe Écologiste
“Ce que vous voyez là, ce n’est pas une mise en scène, c’est la réalité dans toutes les grandes villes de France”, déclare Jean-Claude Raux qui a co-rédigé cette proposition de loi. La veille, il a invité ses collègues députés à se rendre sur place pour faire face à la réalité. “En dehors de la Nupes, je crains que nous soyons peu nombreux. Ils auraient pu venir voir ces jeunes et leur demander s’ils sont réellement assistés.”, ajoute-t-il. “L’injustice n’est pas acceptable et encore moins en France. Nous sommes un pays riche, qui doit donner toutes ses chances à sa jeunesse”, renchérit Sophie Taillé-Polian.
Plus de 400 étudiantEs dans le besoin sont venuEs à notre distribution alimentaire devant l’assemblée Nationale ! Nous demandons au gouvernement de veritables mesures pour lutter contre la précarité ! #LaPrecaritéTuepic.twitter.com/HsvPcNXhJl
— L’Alternative, union syndicale et associative (@AlternativeESR) March 29, 2023
La distribution a lieu à proximité de l’Assemblée nationale et ce n’est pas un hasard. “On voulait montrer que les étudiants ont toujours faim, qu’ils sont dans la même situation que durant la Covid, donc on a voulu alerter les députés directement”, explique Hugo, de l’union syndicale L’Alternative. Et par “directement”, il entend au pas de leur porte. “Les députés s’alertent un peu plus quand c’est juste en bas de leur fenêtre.”, poursuit le syndicaliste.
Aucun des jeunes sollicités n’est encarté chez les écologistes ou membre du syndicat organisateur. Ils ont simplement répondu à l’appel, car ils ont faim et peu de moyens.
En à peine 30 minutes, la foule s’est servie et a disparu de l’Esplanade. Cependant, il est resté une tonne de vivres n’ayant pas trouvé preneurs. Pour autant, les étudiants ont été très satisfaits des portions qu’ils ont pu prendre. Ils sont rentrés, pour la plupart, les deux bras chargés.
De jeunes bénévoles sont en train de préparer la distribution. Au milieu d'eux, une dizaine de députés.
©Diplomeo
*Le prénom a été changé pour des raisons de confidentialité.