Depuis son lancement en 2019, le Service national universel (SNU) fait couler beaucoup d’encre. Ce programme gratuit, destiné aux 15-17 ans, vise à engager les jeunes dans la vie de la Nation en les encourageant à devenir des citoyens actifs autour d’enjeux nationaux tels que l’écologie, la défense ou encore l’égalité sociale.
Mais cette promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 fait l’objet de vives critiques. De nombreux acteurs du secondaire considèrent le SNU comme une forme de service militaire favorable à des dérives violentes et qui est loin de tenir ses promesses de mixité et de vivre-ensemble. À gauche, les voix politiques comme le Nouveau Front populaire, qui a remporté une majorité relative aux législatives anticipées de juin dernier, s’élèvent pour faire abroger ce dispositif censé se généraliser à la rentrée 2026 pour tous les jeunes.
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Le SNU en chiffres
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Quels sont les avantages du SNU ?
L’objectif du service national universel est d’accompagner et de soutenir les lycéens français dans leur engagement citoyen. Comment ? En renforçant leur sens de l’action à travers des initiatives individuelles et collectives concrètes, qui répondent à des enjeux nationaux. À terme, ce dispositif peut permettre de découvrir ses droits, voire sa vocation professionnelle.
Un programme gratuit, en 3 phases pour découvrir l’engagement citoyen
Organisé en trois phases - un séjour de cohésion de 12 jours suivi d’un temps de service à la Nation (missions d’intérêt général de 2 semaines ou 84 heures réparties) et d’un engagement sur le long terme (associatif ou service civique, de 3 mois à 1 an) - le SNU offre plusieurs avantages, listés sur le site officiel du dispositif :
- Agir concrètement pour une société plus solidaire
- Vivre une expérience humaine collective
- Être utile aux autres
- Connaître les formes d’engagement
- Donner un sens à ses actions.
Inscription au Code de la route, JDC, PSC1 : des contreparties utiles
En outre, participer au SNU permet aux jeunes certaines contreparties avantageuses telles que :
- Une formation à la prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1)
- La validation de la journée de Défense citoyenne (JDC)
- Un accès gratuit à la plateforme d’apprentissage du Code de la route
- Une première inscription gratuite à l’examen théorique du Code de la route (après la validation de la phase 2)
Un vecteur de mixité sociale
Pour résumer, le SNU est un « enjeu de défense nationale et de cohésion sociale et pourrait se voir attribuer trois objectifs : universalité, apprentissage des codes de citoyenneté et mixité sociale », expliquait, en janvier 2024 au Monde, le député européen Guy Lavocat. Ce dernier est membre du groupe de travail sur le SNU. Pour cet élu du parti présidentiel, le programme du SNU permet en effet de « répondre à un corps social en partie désengagé », dans un contexte de guerre aux portes de l’Europe. Le SNU permet enfin de « retrouver quelques bénéfices du service militaire », telle que la mixité sociale souligne encore Guy Lavocat.
Quelles sont les critiques et les craintes en lien avec le SNU ?
Sur le papier, le SNU apporte donc de nombreux avantages aux jeunes volontaires qui sautent le pas. Pourtant, de nombreuses voix s’élèvent contre ce dispositif, qui a d’ores et déjà fait l’objet de dérives.
Une forme de militarisation de la jeunesse
Pour plusieurs syndicats du secondaire, le service national universel est problématique sur de nombreux points, à commencer par son aspect militaire.« Levée de drapeaux, uniforme, chant de la Marseillaise en début de journée… » : le programme du SNU « s’inscrit dans une mise au pas de la jeunesse avec une vision passéiste et patriotique de l’engagement », déplore ainsi Sud Éducation dans un communiqué publié en décembre 2023.
« Le service militaire n’a jamais permis de construire des mixités et des rencontres puisque toute une partie de la population ne faisait pas l’armée », Jean-Michel Bocquet, spécialiste des questions de pédagogie
L’organisation, qui appelle à l’abrogation de ce dispositif, considère ce dernier comme autoritaire et ouvrant la voie à une « plus grande militarisation de la société ». Une introduction de l’Armée au lycée qui nuit à la formation de « citoyens libres, disposant d’un esprit critique, s’appropriant les notions d’engagement, de responsabilité et de solidarité », ajoute le syndicat, qui appelle à plus de moyens pour la « démocratie lycéenne et l’engagement lycéen ».
Pour Jean-Michel Bocquet, spécialiste des questions de pédagogie et enseignant à l’université Paris 13, la mixité sociale qu’est censée apporter le SNU n'est pas au rendez-vous. « Le service militaire n’a jamais permis de construire des mixités et des rencontres puisque toute une partie de la population ne faisait pas l’armée », rappelle-t-il dans ce média spécialisé.
Un million d’heures de cours perdues pour les lycéens ?
Côté organisation, le SNU fait grincer des dents les syndicats. Ces derniers dénoncent en effet que les heures du séjour de cohésion du SNU se déroulent sur le temps scolaire, ce qui est le cas depuis mars 2024. En cas de généralisation du dispositif à tous les lycées, le SNU pourrait faire perdre un million d’heures de cours aux élèves, s’indignait, en janvier dernier sur France info, le secrétaire général du SNPDEN-Unsa, premier syndicat des chefs d’établissements.
« Qui dit généralisation du SNU dit deux semaines de cours perdues pour tout élève de Seconde car ça sera forcément sur le temps scolaire. On fait la chasse aux heures perdues et avec cette généralisation, on va en générer presque un million », redoutait ainsi Bruno Bobkiewicz, au lendemain des annonces de Gabriel Attal sur la généralisation du SNU. Un prix fort à payer pour un dispositif qui représente « 2,5 ou 3 millions d’euros, soit 50 000 postes d’enseignants », soulignait encore le représentant syndical.
Des scandales de maltraitances et de harcèlement sexuel dans le cadre du SNU
Dernier argument avancé par les opposants au SNU : les dérives qu’il suscite. Suspicions d’agressions sexuelles par les encadrants, maltraitances, humiliations, organisation chaotique… Plusieurs médias, comme Mediapart, Le Parisien ou France Info ont révélé ces derniers mois des dérapages lors de séjours de cohésion du SNU.
Des dérives contre lesquelles alertait déjà Jean-Michel Bocquet avant la mise en place du dispositif. Dans une tribune publiée en décembre 2023 dans Café Pédagogique, l’enseignant dénonçait un modèle favorable aux violences en tout genre. L’organisation de la vie en groupe des séjours de cohésion « pensée par les adultes pour les adolescents » dans le « déni de la sexualité entre les jeunes » et l’encadrement par des professionnels peu formés et des pairs à peine plus âgés que les volontaires créent l’effet inverse voulu par le SNU.
La cohésion voulue par ce séjour est un « leurre », résume Jean-Michel Bocquet. Cela permet de « masquer les violences notamment sexuelles et les sentiments amplifiés de cohésion viennent grandement fragiliser les jeunes accueillis. Les violences sexuelles sont facilitées. », pointe-t-il.
Le SNU peut-il vraiment être généralisé ?
Le président de la République et son gouvernement semblent y tenir à tout prix : le SNU sera généralisé en 2026. Et si l’incertitude plane encore sur la nomination d’un nouveau Premier ministre, suite à la défaite du camp Macron aux élections législatives de juin 2024, Emmanuel Macron semble bien décidé à appliquer son programme jusqu’au bout. Pourtant, plusieurs éléments pourraient perturber son application.
Encadrement, hébergement, budget : les grandes inconnues de la généralisation
D’abord, la mise en application concrète d’un SNU à l’échelle nationale devrait rencontrer des problèmes d’ordre matériel. D’un point de vue financier, la généralisation de ce dispositif coûterait au moins 2 milliards d’euros, selon un rapport parlementaire paru en octobre 2023. Une « charge financière déraisonnable », à laquelle s’ajoute un « bâti disponible qui risque d’être insuffisant » pour accueillir le dispositif, alertait ainsi Jean-Claude Raux, député écologiste à l’origine de ce rapport.
Un constat qui résonne avec un rapport sénatorial publié quelques mois plus tôt, en avril 2023 par l’élu socialiste Eric Jeansannetas. Ce document, intitulé « le service national universel : la généralisation introuvable », met en évidence les difficultés d’une généralisation du SNU, à savoir :
- Un manque d’encadrants : le besoin est évalué entre 14 000 et 53 000 personnes ; il faudra donc créer une « véritable filière » du SNU, qui nécessiterait « plusieurs années pour être opérationnelle », souligne le rapport
- La mise en place d’une administration attitrée au SNU pour assumer la montée en charge du dispositif, d’où le budget minimum de 2 milliards d’euros
- Un manque de places d’hébergement pour les participants : il serait possible de se tourner vers des structures privées pour héberger les participants, mais cela ajouterait une inconnue au budget du dispositif
Incertitude politique
Autant de difficultés face auxquelles le gouvernement ne semble pas reculer. Mais la composition du futur gouvernement ou les possibles blocages à l’Assemblée pourraient changer la donne et empêcher une généralisation du SNU, voire le supprimer, comme l’a promis le Nouveau Front populaire dans son programme.
Si la coalition des gauches est représentée à Matignon, elle pourrait faire abroger le dispositif. Et si aucun membre du NFP n’est nommé en tant que Premier ministre, l’opposition pourra toujours faire barrage dans l’hémicycle au moment du passage de la loi, si elle est majoritaire. Là encore, rien n’est certain.