C’est une petite musique qui retentit tous les ans dans les salles de classe du lycée. Et pour cause, la classe de terminale est jalonnée par deux éléphants dans la pièce : la procédure Parcoursup et le baccalauréat. À l’heure des choix, les élèves jonglent entre les examens terminaux et les dossiers de candidature : c’est leur avenir dans l’enseignement supérieur qui est en jeu.
La plateforme d’admission post-bac a ouvert ses portes le 17 janvier dernier. Les lycéens, mais aussi les étudiants qui souhaitent se réorienter, entament ainsi les démarches pour leur orientation. Bien qu’il est nécessaire de prendre ses marques et de se questionner sur ses envies et son projet professionnel, les doutes accaparent les esprits, avec une course contre le calendrier qui est engagée.
Sur Parcoursup, les élèves jouent la carte de la réflexion et de la prudence
Les années passent, mais ne se ressemblent pas. Et c’est encore plus vrai pour Parcoursup. En effet, chaque édition apporte son lot de nouveautés qui, selon le ministère de l’Enseignement supérieur, vise à « mieux aider les jeunes » dans leurs choix d’orientation. En 2024, de nouvelles fonctionnalités ont fait leur apparition : les favoris, qui permettent aux élèves de conserver leurs recherches de formations, des rappels de journées portes ouvertes. Puis, le comparateur pour « s’informer sur le contenu, le statut des formations, le taux de pression, les frais de scolarité », avait expliqué Sylvie Retailleau, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, dans une interview au JDD.
Des nouveautés dont se sont immédiatement saisis les jeunes. « Je me suis inscrite juste avant l’ouverture des vœux pour mettre mes formations préférées en favori », explique Lucie*, élève de terminale professionnelle systèmes numériques (SN) à Strasbourg (Bas-Rhin). « J’ai demandé un DN MADE en graphisme et deux licences : une en design et une autre en audiovisuel, mais le DN MADE est la formation qui m’intéresse le plus », ajoute-t-elle.
La jeune strasbourgeoise ne cache pas son ambition de troquer son bagage informatique pour des études de design post-bac. « C’est un choix qu’on m’avait infligé au collège, car je n’étais pas très bonne élève et j’étais démotivée, donc on m’avait emmenée vers le bac pro », raconte-t-elle. « Mais ma formation actuelle comprend le numérique, donc il y a un lien ». La lycéenne prend donc le temps de constituer ses dossiers avec parcimonie, afin de mettre toutes les chances de son côté. « Je compte indiquer mon expérience professionnelle de stage dans le domaine visuel qui se rapproche du design », précise-t-elle.
« J’attends le dernier moment, car je trouve qu’il est encore trop tôt, nos objectifs d’études peuvent évoluer », Maé, 17 ans
Lucie n’est pas la seule à se laisser du temps avant la date butoir pour formuler ses vœux sur Parcoursup, fixée au 14 mars prochain. « J’attends le dernier moment, car je trouve qu’il est encore trop tôt, nos objectifs d’études peuvent évoluer », estime Maé, 17 ans, en terminale générale spécialité maths et SES dans l’académie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), avec un double cursus en tant que sportif de haut niveau (SHN) en judo.
« Je vais sûrement demander une prépa ECG, car c’est une très bonne manière de préparer des concours d’entrée pour les grandes écoles » relate-t-il, avant d’ajouter qu’il prépare méticuleusement ses candidatures. « Pour ne pas me fermer des portes, j’ai aussi pour projet de demander une IAE à Clermont, car je souhaite travailler dans le commerce ». Le lycéen souhaite également passer un BP en parallèle pour devenir enseignant de judo à ses heures perdues.
Une prise en main intuitive, sur fond d’interrogations
Si Parcoursup est une épreuve pour beaucoup, la maîtrise de ses spécificités n’est plus vraiment un sujet pour les lycéens. Ils peuvent notamment bénéficier de l’accompagnement de leurs enseignants ou de leurs proches. « J’ai été guidé par mes profs, ils m’ont bien aidé », confie Alex, lycéen de terminale générale spé maths et NSI, à Paris. « J’ai assez bien compris la procédure de Parcoursup et j’ai pu m’inscrire sans trop de mal grâce à ma mère qui est enseignante dans le supérieur et qui a donc l’habitude de la plateforme », explique de son côté Maé.
Dans un grand nombre de lycées de l’Hexagone, plusieurs heures d’accompagnement sur le temps scolaire sont dédiées à Parcoursup. C’est ce que l’on appelle, selon Éduscol, des accompagnements au choix à l’orientation (ACHOR). « Une semaine sur deux, on doit réaliser, une heure d’accompagnement pour aider les élèves à faire leurs vœux et à composer leurs dossiers », explique Samantha Pena, enseignante d’anglais et professeure principale au lycée général et technologique Jules Uhry à Creil (Oise). « Dans l’ensemble, ils voient l’intérêt de ces séances d’accompagnement. Si on ne les prévenait pas, ils s’y prendraient à la dernière minute », poursuit-elle.
Pour l’enseignante, les élèves sont plutôt investis, mais leurs préoccupations sont prégnantes. Quand certains estiment être confiants et se disent qu’ils seront bien acceptés dans un établissement, d’autres sont plutôt dans le déni. « Les profils carriéristes sont très stressés, car ils ont déjà leur orientation en tête et ont très peur de ne pas être pris », précise Samantha Pena. « Pour les indécis, ils sélectionnent un peu ce qu’ils veulent, en mettant plein de formations différentes qui n’ont rien à voir entre elles. »
Il faut dire que la plateforme Parcoursup est souvent sous le feu des critiques depuis sa création en 2018. L’Union étudiante, syndicat étudiant, estime sur X (ex-Twitter) qu’un jeune sur cinq était sans admission sur Parcoursup l’année dernière, « à la fin de la phase principale d’admission ». Pour le syndicat, le dispositif « est une machine à briser les aspirations » des jeunes et qui empêche les élèves de poursuivre leurs études « dans la filière de son choix ».
🟣 La machine à sélectionner est en marche.
Parcoursup a ouvert le 17 janvier, lançant ainsi le début d’une sélection accrue pour les lycéen•nes. Pour rappel : 1 candidat•e sur 5 n’avait aucune proposition à la fin du mois de juin.
Notre position ⬇️ pic.twitter.com/cfDyljR5A6
– L’Union Étudiante (@unionetudiante_) January 23, 2024
Face aux difficultés que peuvent parfois rencontrer certains candidats, Sylvie Retailleau annonçait en décembre dernier l’ouverture de Parcoursup pour les élèves de seconde et de première. Ces derniers ont désormais la possibilité de s’inscrire sur la plateforme, découvrir les formations post-bac et commencer à réfléchir sur leurs choix d’orientation.
« Permettre d’ouvrir Parcoursup aux lycéens de seconde et de première est une excellente chose, afin qu’ils puissent expérimenter très concrètement la plateforme », Bruno Fiorio, vice-président adjoint du premier cycle universitaire à CY Cergy Paris Université
Selon les experts sur le sujet, tout ce qui peut éclairer les élèves dans leur orientation est une bonne chose. L’ouverture de la plateforme dès la seconde va aussi les aiguiller dans le choix des enseignements de spécialité, nécessaires aux études supérieures. « Tout l’intérêt est de les sensibiliser le plus tôt possible à la poursuite d’études et de découvrir les filières », préconise Mick Dupont, responsable admissions et chargé du recrutement des étudiants à l’Efrei, école du numérique à Villejuif (Val-de-Marne). « Permettre d’ouvrir Parcoursup aux lycéens de 2de et de 1ère est une excellente chose, afin qu’ils puissent expérimenter très concrètement la plateforme.Les lycéens sont mieux renseignés et se projettent beaucoup plus tôt et ce sera encore plus vrai dans les années à venir », juge de son côté Bruno Fiorio, enseignant-chercheur et vice-président adjoint du premier cycle universitaire à CY Cergy Paris Université. « Cela aidera les équipes pédagogiques dans les lycées à s’emparer de ces sujets-là avec leurs élèves. Il faut bien s’investir, car de bons résultats dans les études secondaires, c’est sans doute le meilleur moyen de bien faire ses candidatures Parcoursup et de réduire le stress », ajoute-t-il.
Se prêter au jeu de la lettre de motivation
Réduire le stress et se préparer aux études supérieures, cela passe aussi par la rédaction d’une lettre de motivation, anciennement appelée projet de formation motivé (PFM). Une étape de Parcoursup qui charrie son lot de pression et qui donne souvent du fil à retordre aux lycéens. « Je ne sais pas quoi mettre ni comment m’y prendre, car il faut savoir se vendre », avoue Alex. « Bien que les lettres de motivations ne soient plus obligatoires pour certains établissements, avec les filières que j’ai demandé à l’IUT Paris Rives de Seine et à Assas, ce sera imposé », renchérit le lycéen parisien.
La peur de ne pas être affecté dans la formation visée plane dans les airs, mais les futurs bacheliers ne se laissent pas abattre pour autant. « J’ai de très bons résultats scolaires cette année et je compte mettre mes compétences dans le graphisme en avant dans la lettre de motivation », concède Lucie. « Je peux aussi compter sur le soutien de mes parents, qui savent que je peux arriver à intégrer un DN MADE, même avec un bac pro ». Pour Maé, « il s’agit d’une étape importante » à ses yeux, car, « la lettre de motivation reflète la personne que tu es réellement ».
« La lettre de motivation reflète la personne que tu es réellement », Maé, lycéen en terminale générale
Pour rédiger leur lettre de motivation, les lycéens peuvent aussi compter sur l’appui de leurs enseignants. « On organise des ateliers sur cette thématique avec d’anciens élèves qui proposent d’encadrer nos lycéens actuels », relate Samantha Pena. Cependant, l’enseignante souligne les efforts d’un jeune de 17 ans à qui on demande pourquoi il souhaite étudier à l’université. « C’est une question existentielle et les réponses peuvent être bateau. Quand tu désires exercer le métier d’opticien, ta passion, ce n’est pas les lunettes », plaisante-t-elle. « Mon avis est que le PFM, cela reste quand même du baratin et ça reste impersonnel pour certains élèves, qui vont aussi avoir recours à l’IA pour faire le travail à leur place ».
À l’inverse, dans le supérieur, les responsables pédagogiques rappellent la dimension humaine de la lettre de motivation. Si elle n’est plus obligatoire dans certains cursus, comme les licences universitaires, elle permet, souvent, de tirer son épingle du jeu. « Pour nous, elle peut servir à remonter un candidat qui n’a pas des de bons résultats, mais qui prouve qu’il est sérieux et motivé », insiste Bruno Fiorio. « Les étudiants doivent prouver leurs motivations et montrer qu’ils ont les compétences attendues à l’entrée de la formation ». À l’Efrei, la lettre de motivation ne sera plus exigée pour toutes les formations, mais pour celles qui sont sélectives, comme les classes prépas intégrées, il est évident qu’elle le sera. « Ne pas en faire sur une formation sélective, c’est se tirer une balle dans le pied. Tout ce qui peut distinguer un candidat d’un autre est nécessaire », estime Mick Dupont.
L’appréciation des professeurs et la fiche Avenir peuvent aussi permettre aux élèves de faire grimper leur dossier en haut de la pile. La raison ? Ce document peut donner des indices sur la personnalité des candidats, en complément de leurs résultats scolaires. « Ce n’est pas dans nos habitudes de regarder dans le détail chaque commentaire de prof pour toutes les disciplines, mais il nous arrive parfois d’y prêter attention », admet le responsable admission de l’école d’ingénieurs. « À l’Efrei, on a parfois des centaines de milliers de candidats, avec une moyenne de 14-15. Qu’est-ce qui les distingue ? La lettre de motivation, la fiche Avenir et les centres d’intérêt qui sont renseignés par les candidats. »
Même son de cloche à l’université, où la fiche Avenir est scrutée de très près pour celles et ceux qui optent pour des filières en tension, comme le droit, l’éco-gestion ou les sciences. « Pour une licence à plusieurs milliers de candidats, mais qui comprend une centaine de places, les collègues vont utiliser les aides au recrutement que nous offre Parcoursup », explique Bruno Fiorio, avant de prendre pour exemple les filières scientifiques. « Dans ces licences, on cherche les profils qui ont une appétence pour les mathématiques et la physique-chimie », préconise-t-il.Le responsable pédagogique estime qu’au-delà des résultats académiques, la capacité à prouver sa persévérance et sa ténacité est pour le candidat une belle preuve de maturité.
Un retour des épreuves du bac en fin d’année, gage de sérénité
Cette année, le baccalauréat aussi s’est accompagné d’ajustements, avec le retour des épreuves de spécialité au mois de juin, annoncée par le chef du gouvernement, Gabriel Attal, à l’époque ministre de l’Éducation nationale. Quant au grand oral, épreuve phare de la réforme du lycée et du bac qui clôture la période d’examens, celui-ci va également se transformer. « La dernière partie, consacrée à l’orientation a été supprimée, mais cela ne change pas grand-chose. Les élèves passent devant des enseignants qu’ils ne connaissent pas », explique Samantha Pena, qui a été jury de l’examen à deux reprises. « L’épreuve principale a été maintenue et c’est l’essentiel. Avec un sujet transversal qui porte sur les deux enseignements de spécialité, ça les oblige à confronter les spé et en sortir une réflexion ».
Les élèves de terminale connaissent une répartition différente de celle de leurs aînés.Le report des épreuves en juin va faciliter cette dernière année sur les bancs du lycée. C’est aussi un soulagement pour les professeurs, qui ont vu d’un mauvais œil l’absentéisme des élèves au troisième trimestre en 2023. « Le bac en juin, c’est bien, on est tous très contents. Cela permet d’avoir plus de temps pour traiter tout le programme », se réjouit l’enseignante. « La tentation de sécher les cours est grande. Ce qui s’est passé l’année dernière avec les épreuves de spé en mars, tout le monde en parle au lycée », indique Alex. « C’est quand même mieux de passer les épreuves du bac en juin, et ce, malgré la chaleur », ajoute le lycéen.
Les épreuves du bac à la fin de l’année scolaire, comme avant, sonnent donc le glas des études secondaires, avant les nouvelles aventures qui attendent les bacheliers dans l’enseignement supérieur. « Pour beaucoup d’entre eux, l’après-bac, c’est l’entrée dans la vie d’adulte. On se retrouve responsable de ses études, de se nourrir, de trouver un logement », estime Bruno Fiorio. « Il faut que les jeunes mènent de front plusieurs choses importantes : les études de terminale avec la finalité du bac et la procédure Parcoursup. L’un ne doit pas se substituer à l’autre ».
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée