La psychiatrie peine à séduire. Cette spécialité médicale reste l’une des moins choisies par les étudiants en médecine, alors même que les besoins en santé mentale explosent partout en France. Lors des dernières Épreuves dématérialisées nationales (EDN), près de 13 % des postes d’internat en psychiatrie sont restés vacants — un chiffre révélateur de la désaffection pour cette discipline pourtant essentielle.
Ce lundi 20 octobre marque le coup d’envoi du grand marathon des EDN : quatre jours intenses d’épreuves qui détermineront la spécialité et le lieu d’internat des futurs médecins. À cette occasion, Diplomeo est allé à la rencontre de deux internes en psychiatrie, Romane, 24 ans, qui exerce à Paris et Margaux qui se spécialise en pédopsychiatrie à Grenoble. L’objectif : comprendre ce qui les anime et pourquoi elles ont choisi de s’engager là où beaucoup hésitent encore, après leur sixième année de médecine.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous orienter vers la psychiatrie ?
Margaux : J’ai toujours eu un intérêt pour la psychiatrie, même si, au départ, je m’orientais plutôt vers la médecine générale. Ce qui m’a finalement attirée, c’est la possibilité d’accompagner une personne dans toute sa complexité, en tenant compte de son environnement et de ses comportements. C’est au fil de mes stages en externat que j’ai découvert la pédopsychiatrie. L’approche neurodéveloppementale et l’accompagnement des enfants et de leurs familles m’ont passionnée.
Romane : À l’origine, j’avais choisi la médecine pour devenir pédiatre. En seconde, j’ai réalisé un stage en pédiatrie qui m’a beaucoup plu. Et puis en quatrième année, en début d’externat, lors de mon premier stage en psychiatrie, j’ai eu un coup de cœur. J’ai beaucoup aimé le contact privilégié avec les patients, la richesse du raisonnement clinique ainsi que la diversité des approches thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses ou non. J’y suis retournée en fin de sixième année, et cela a confirmé mon choix pour l’internat.
Études de santé : les spécialités les plus demandées en médecine
La psychiatrie n’est pas la spé la plus choisie par les étudiants en médecine. Quelles sont, selon vous, les principales raisons de ce désintérêt ?
Margaux : Je pense qu’il existe une véritable méconnaissance de la psychiatrie et des troubles psychiatriques en général. Certains étudiants considèrent encore cette spécialité comme une « sous-médecine ». L’image de la psychiatrie varie aussi beaucoup selon les villes : dans certaines, l’approche reste très psychanalytique, alors qu’à Grenoble, par exemple, l’accent est plutôt mis sur les neurosciences. Dans d’autres pays, comme le Canada, la psychiatrie est au contraire une spécialité relativement prisée, contrairement à la France.
Romane : Les raisons sont multiples, mais parmi celles qu’on m’a évoquées le plus, il y a le sentiment de devoir tout recommencer à zéro. Beaucoup d’étudiants ont l’impression qu’en choisissant la psychiatrie, ils vont « oublier » l’ensemble des connaissances acquises pendant l’externat.
Et aussi, les préjugés persistent. On colle souvent une étiquette à la psychiatrie, pourtant, nos diagnostics sont à la croisée de nombreuses disciplines : endocrinologie (troubles métaboliques pouvant mimer certaines pathologies psychiatriques), gynécologie (pathologies post-partum), neurologie, gériatrie, etc. Des initiatives existent pour faire mieux connaître la discipline (conférences, journées de sensibilisation, interventions au sein des facultés, festivals), mais les préjugés bougent encore lentement.
La santé mentale est un sujet de plus en plus médiatisé. Selon vous, cette visibilité contribue à améliorer l’attractivité de la spécialité ?
Romane : Le fait que la santé mentale soit davantage abordée dans les médias et sur les réseaux sociaux a permis de faciliter les échanges. On parle plus librement de psychiatrie, aussi bien dans le grand public qu’au sein des promotions de médecine.
Cette visibilité a permis également de mettre en lumière la nécessité de former davantage de psychiatres. Dans ma promotion, certains ont d’ailleurs découvert ou reconsidéré la psychiatrie grâce à des comptes Instagram qui démocratisent cette spécialité.
Margaux : Je dirais qu’il y a peut-être un peu moins de tabous à parler de santé mentale, mais entre santé mentale et psychiatrie, il y a encore un cap à franchir. Il y a à la fois plus de liberté à parler de son mal-être, mais aussi beaucoup de stigmatisation quand on parle carrément de psychiatrie. Il y a encore beaucoup de progrès à faire.
Le but : réconcilier les étudiants en médecine avec la discipline
Le manque de médecins psychiatres est un enjeu de santé publique. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus ?
Margaux : On subit cette pénurie de médecins au quotidien, surtout au moment d’orienter les patients vers des spécialistes libéraux, en dehors du CHU (Centre hospitalier universitaire). Ils sont peu nombreux et rapidement saturés. Certains hôpitaux sont aussi moins bien dotés en médecins psychiatres.
Romane : En psychiatrie, nous sommes particulièrement touchés par le manque de médecins et même plus largement de professionnels en santé mentale. Dans certains centres médico-psychologiques, les délais d’attente peuvent atteindre deux ans.
Même dans les grandes villes, trouver un psychiatre ou un psychologue disponible s’avère très difficile. Cela impacte directement les patients qui se retrouvent parfois sans suivi et sans solution en cas de crises. Former davantage de psychiatres est donc essentiel si l’on veut répondre à ces besoins croissants.
Lancée par le Collège National des Universitaires en Psychiatrie (CNUP) pour séduire les étudiants en médecine, cette campagne met la psychiatrie sous les projecteurs et déconstruit les idées reçues. Conférences, publications sur les réseaux sociaux… le dispositif multiplie les occasions de découvrir la spécialité.
Après un lancement en 2024, l’initiative revient en 2026, étendue à encore plus de villes universitaires.
Comment réagissent vos proches ou collègues quand vous leur dites que vous êtes internes en psychiatrie ?
Romane : Les réactions sont très variées. Certains, médecins ou non, s’étonnent ou questionnent mon choix. La psychiatrie garde encore une image un peu obscure, notamment du fait des représentations véhiculées par certains films. On m’a beaucoup cité le film Vol au-dessus d’un nid de coucou, par exemple. D’autres ont souligné la justesse de mon choix en pointant la richesse de cette spécialité ou la nécessité de former plus de professionnels en santé mentale.
Margaux : Mes camarades et collègues savaient que c’était la spécialité qui me plaisait, alors ils étaient contents pour moi et ça les intéressait d’avoir mon avis aussi sur certaines prises en charge — un regard de l’intérieur, en fin de compte. Mes proches, eux, sont très fiers.
Comment voyez-vous l’avenir de la psychiatrie dans 10 ou 20 ans ?
Margaux : Avant tout, j’aimerais qu’il y ait plus de médecins psychiatres. Et aussi, il existe aujourd’hui toute une branche en plein développement autour de la neurostimulation et de la neuromodulation, avec des techniques utilisant des courants magnétiques ou électriques pour traiter les patients. Ces approches, complémentaires aux médicaments, pourraient ouvrir de nouvelles perspectives et améliorer l’accès aux soins.
Romane : C’est difficile à prédire, car la discipline évolue très vite. L’intelligence artificielle et les nouvelles technologies vont sans doute transformer nos pratiques. De plus, il reste encore énormément à comprendre et à découvrir en psychiatrie. J’espère en tout cas que la psychiatrie va gagner en reconnaissance et en attractivité dans les années à venir. Peut-être que dans dix ans, elle fera partie des spécialités les plus choisies comme c’est le cas dans d’autres pays comme le Canada.