Un secteur avec des projets d’ampleur. Budget, label, développement durable, international, égalité femmes-hommes… Les défis qui attendent les écoles d’ingénieurs et leurs étudiants sont nombreux. Avec la popularisation des écoles d’enseignement supérieur privées et les récentes enquêtes autour de la faible attractivité de ces formations auprès des étudiantes, la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI) a pris la parole pour évoquer ses grands projets, à l’occasion d’une conférence de presse ce jeudi 7 mars.
Label de l’enseignement supérieur : un enjeu « nécessaire », selon la CDEFI
La conférence des directeurs des écoles d’ingénieurs note une inscription en hausse des étudiants dans l’enseignement supérieur privé. D’après le SIES, l’augmentation est de 60 %, quand les inscriptions dans le public sont en baisse de 17 %. Pour Dominique Baillairgeat, vice-présidente de la CDEFI et directrice de l’école 3iL ingénieurs, la capacité du privé de créer des formations sans besoin de financements publics et le développement de l’alternance ont favorisé ce phénomène. « Les aides d’embauche à un apprenti pendant la Covid, favorisant la gratuité de la formation pour les jeunes, ont modifié l’enseignement supérieur privé », affirme-t-elle.
Néanmoins, celle-ci pointe des difficultés d’orientation pour les élèves du secondaire et leurs familles. En cause : une régulation des labels insuffisante. « Pour les familles, il est facile d’être trompé sur les diplômes, car les prescripteurs ne maîtrisent pas forcément les sujets », concède Dominique Baillairgeat. De ce fait, la CDEFI souhaite labelliser tous les cursus, avec l’objectif d’établir une corrélation entre le label et la qualité de formation. Grades, visas, titres RNCP… llA CDEFI juge nécessaire de « simplifier toutes ces dénominations qui complexifient la formation ». Selon la VP, « la terminologie au niveau national doit être clarifiée pour distinguer les diplômes des titres ».
Tous les cursus, publics comme privés, doivent indiquer un titre sur tous les supports de communication et être régulés pour éviter l’ambiguïté. « Utiliser ce qui existe déjà et superposer d’autres critères ». Selon la directrice de 3iL ingénieurs, le ministère de l’Enseignement supérieur semble être le seul acteur à être en mesure de labelliser toutes les formations post-bac. La CDEFI préconise un label qui repose sur trois grands critères : un établissement porteur de la certification pour les formations avec des moyens financiers et humains stables et pérennes. Puis, un accompagnement réussite pour l’étudiant : cela passe par une politique de vie sociale et sociétale qui intègre les enjeux de transition écologiques et sociétaux. Enfin, la qualité du cursus et son environnement doivent aussi être pris en compte.
Quant au recrutement des lycéens pour les formations post-bac, un nouveau label implique que toutes les formations post-bac soient répertoriées sur Parcoursup.« Pas de recrutement hors procédure, excepté pour les étudiants internationaux », explique la VP, avant d’ajouter que les écoles doivent pouvoir accueillir des étudiants boursiers « sans en faire la demande auprès du rectorat ».
Économies dans l’ESR : la CDEFI déplore un budget en baisse
La CDEFI met l’accent sur la réduction du budget alloué à l’enseignement supérieur et la recherche cette année, à hauteur de 900 millions d’euros. Les annulations porteront, entre autres, sur des reports de projets d’investissement et d’équipement de recherche. Sur ces annulations de crédit, Cécile Delolme, vice-présidente de la CDEFI et directrice de l’ENTPE, indique que les moyens alloués aux projets des écoles d’ingénieurs stagneront cette année. « Le budget du CROUS et du CNOUS ne seront pas impactés », rassure t-elle toutefois.
Face à des annonces que Cécile Delolme considère comme étant « rassurantes » au niveau du MESR, la VP de la CDEFI concède toutefois que les moyens annoncés ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’enseignement supérieur aujourd’hui, notamment sur le plan de la recherche. « L’ESR n’est pas dans les priorités de l’État, ce que nous regrettons sincèrement », complète-t-elle.
La lutte des VSS ou la prise en compte des enjeux socio-écologiques pourraient pâtir de la baisse des moyens destinés aux écoles d’ingénieurs, faute de ressources allouées au recrutement nécessaires pour accompagner les étudiants sur ces sujets. Pour faire face à ces enjeux, les écoles entendent dénicher de nouvelles ressources, notamment via des partenariats avec des chaires de recherche.
« Nous affichons le fait qu’il n’y a pas de cohérence entre les enjeux socio-écologiques, de l’industrie verte, France 2030 » et les financements alloués aux établissements, avec une « hétérogénéité » observée en termes d’établissements impactés par ces questions, explique la VP de la CDEFI. « Nous demandons des moyens pour répondre à ces enjeux ».
Pour résumer, la CDEFI observe qu’à moyens égaux, l’augmentation des effectifs provoquera une pénurie de ressources pour mieux soutenir les étudiants, mais aussi pour répondre aux grands enjeux que les écoles d’ingé doivent adresser.
Attractivité internationale : après la loi immigration, quelles mesures pour dynamiser les écoles d’ingénieurs ?
En janvier, le gouvernement a rétropédalé sur la loi immigration après la décision du Conseil d’État de censurer une grande partie du texte. Sur ce sujet, la CDEFI a fait part de son « soulagement », car les étudiants internationaux ont une « influence » pour les établissements de l’Hexagone et auraient privé ces derniers de dénicher de potentiels talents. « On reste néanmoins vigilants sur cette question », estime Emmanuel Duflos, président de la CDEFI et directeur de l’EPF Engineering School. La question de la caution et des droits différenciés pour les étudiants étrangers reste également sur la table. « Les instaurer relève de l’autonomie des établissements pour le faire », ajoute-t-il.
En réponse à ces sujets, la CDEFI va lancer un groupe de travail pour proposer des mesures concrètes pour que les écoles d’ingénieurs françaises soient plus attractives pour les étudiants et enseignants-chercheurs internationaux. Les écoles et la CDEFI sont favorables à la mise en place d’un diplôme européen d’ingénieurs qui « aurait la même valeur dans tous les pays et auprès de toutes les entreprises » du Vieux continent.
La lutte contre les stéréotypes de genre se poursuit
La CDEFI est revenue sur les résultats de l’enquête 2024 Gender Scan « riche d’enseignements », juge Emmanuel Duflos. Elle était le point de départ d’une réflexion profonde pour attirer davantage de femmes dans les formations ingénieurs. « Ce qui nous a marqué, c’est que plus de quatre femmes sur dix, étudiantes dans notre secteur, ont été découragées de faire ce choix. » La question du stéréotype était au cœur des différents témoignages récoltés par cette étude. Parmi les idées reçues, des éléments liés au genre, bien sûr, mais aussi aux notes qu’il faudrait avoir pour accéder aux écoles d’ingénieurs.
« Une fois que le cap a été passé, il y a égalité entre les deux types de population » dans leur entrée dans le monde du travail, rassure le président de la CDEFI. Pourtant, les récentes enquêtes démontrent que l’écart salarial entre les femmes et les hommes, chez les diplômés d’écoles d’ingénieurs, augmente : 5,3 % en 2023 contre 5 % en 2004.
Il y a un manque et une perte d’attractivité des filières scientifiques auprès des jeunes et notamment des femmes. La raison ? Des compétences scientifiques qui ne sont pas valorisées « dès le plus jeune âge ». De nombreuses études internationales montrent une baisse du niveau en mathématiques et en sciences. Les stéréotypes de genre restent ancrés dès l’école primaire pour les jeunes filles. Puis, la CDEFI note également une baisse de vocation vers les métiers de l’ingénierie.
Pour changer la donne, une valorisation de la culture scientifique dès le plus jeune âge est une piste de réflexion. Mais ce n’est pas la seule piste évoquée par la CDEFI qui mentionne des opérations comme Ingénieuses ou Cap Ingénieuses, dispositif destiné aux écoles élémentaires et aux collèges. Des actions avec le BNEI et la CGE ont également été menées en matière de prévention sur les sujets autour du harcèlement.
Enfin, sur les questions de transition écologique, un groupe de suivi interne à la CDEFI a été déployé pour échanger sur les bonnes pratiques, afin de favoriser la formation des étudiants et des formateurs autour de ces sujets porteurs.
Cet article a été co-écrit par Mehdi Bautier et Max Arengi.