Une baisse inédite pour les élèves Français. L’enquête PISA, publiée le 5 décembre dernier, s’appuie sur les résultats scolaires des jeunes âgés de 15 ans de 81 pays de l’OCDE. Ce dernier classement qui s’appuie sur les mathématiques, les sciences et la compréhension écrite révèle ainsi une forte chute de niveau depuis 2018.
Face à ce constat, François Rousseau, directeur général de Mines Nancy, école d’ingénieurs de l’est du pays, exprime ses plus vives inquiétudes. Si la révolution numérique et le développement des nouvelles technologies est amorcée, ce dernier estime que les mathématiques et l’informatique participent à ces transformations. De fait, les élèves français doivent bénéficier d’une formation solide en sciences, mais aussi en français. Il invite le gouvernement à se saisir de ces questions.
Les résultats de la dernière enquête PISA montrent que le niveau des élèves Français est en chute libre, notamment en français et en mathématiques. Qu’en pensez-vous ?
C’est un sujet qui doit réellement nous préoccuper. Cela aura des impacts économiques et sociaux parce que le niveau de formation est directement lié à l’emploi. Ces résultats sont à prendre très au sérieux : la première richesse d’une nation, c’est sa population. En prendre soin, cela passe par deux choses essentielles : la santé et l’éducation. C’est une priorité nationale.
Cela souligne aussi une incohérence entre les ambitions affichées de l’État. D’une part, en matière de souveraineté industrielle, de relance de l’industrie. D’autre part, de sa volonté à prendre une part active à la transition énergétique et numérique. Il faut avoir des jeunes qui seront bien formés pour se préparer à tout cela.
Puis, les résultats PISA ne sont pas réellement une surprise. Nous l’avons bien vu avec la réforme du lycée, que j’estime catastrophique, car beaucoup d’élèves ont esquivé les mathématiques. Or, cette discipline est indispensable, car elle sous-tend toutes les sciences. En l’occurrence, les sciences font partie des concepts mathématiques.
De ce point de vue là, la réaction du gouvernement n’a pas été à la hauteur. Cela a déjà été maintes fois critiqué, mais le fait de remettre 1 h 30 dans le tronc commun au lycée, ce n’est pas à la hauteur, dans un monde qui n’a jamais eu autant besoin des maths qu’aujourd’hui.
Mais il n’y a pas que les mathématiques. On pourrait penser que pour les futurs ingénieurs, ce sont les maths qui priment et beaucoup moins le français : ce qui est totalement faux. Un ingénieur est amené à s’exprimer, à rédiger des notes de synthèse, à parler à ses équipes et à sa hiérarchie. D’où l’importance d’avoir un niveau impeccable en français.
Le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, souhaite également intégrer l’intelligence artificielle à l’apprentissage au lycée dès 2024, quelles sont vos opinions à ce sujet ?
Il est nécessaire de prendre conscience que les jeunes Français, très tôt, doivent maîtriser les outils informatiques. Il y a des pays comme l’Estonie qui l’ont fait et qui ont des résultats remarquables. C’est un pays qui est extrêmement dynamique dans les innovations.
Suivant le niveau de formation, pour les ingénieurs, il s’agit de comprendre comment les intelligences artificielles sont construites, afin d’en comprendre les limites. Pour les plus jeunes, c’est apprendre à utiliser l’outil tout ce qui en sort, en connaître les biais, etc. Comme l’IA intègre petit à petit notre quotidien, c’est important de l’apprivoiser. Non pas naïvement, mais avec de l’esprit critique.
Au lycée, on remarque que de nombreux lycéens sont réfractaires aux mathématiques, plus particulièrement les filles et les élèves défavorisés. Comment pallier le problème, selon vous ?
C’est effectivement quelque chose de dramatique. Avant la génération touchée par la réforme du bac, on avait, à Mines Nancy, 25 % de filles, ce qui correspondait au vivier des classes prépas sur lesquelles on recrute.
En un an, depuis la réforme, on a perdu 20 % de filles dans notre recrutement. C’est très grave, l’influence sociétale et culturelle qui détourne les filles de maths avait un effet plus limité qu’aujourd’hui. À l’époque, elles étaient obligées de conserver les mathématiques plus longtemps et se fermaient moins de portes en fin de terminale, notamment pour les classes préparatoires maths-physique ou physique-chimie.
Aujourd’hui, elles abandonnent les maths plus tôt et de façon mécanique, elles se retrouvent hors jeu pour certaines filières. C’est très gênant, car cela écarte une partie des talents des filières scientifiques, où l’on a besoin d’elles.
Selon vous, les mathématiques sont au cœur de la révolution numérique ? Pour quelles raisons ?
Pour ce qui est de l’intelligence artificielle, assurément. Il y a des questions de complexité d’algorithmes avec les statistiques : on évoque beaucoup les jumeaux numériques et derrière cela, il y a de la modélisation, des équations différentielles, etc. Même aujourd’hui avec l’IA, on peut utiliser ChatGPT sans avoir de notions en mathématiques et avoir un résultat. Mais pour comprendre d’où vient ce résultat, quels en sont les biais, il faut, a minima, comprendre les notions mathématiques.
Il y a énormément d’opportunités pour les ingénieurs aujourd’hui. Tout ce qui est lié à l’analyse des données, car on est de plus en plus en capacité de générer et traiter des données. On a aussi tout ce qui relève de la cybersécurité. Avec la réforme numérique, on est en train de connecter énormément de choses et d’augmenter la surface d’attaque.
En parallèle, on a un nombre croissant d’acteurs étatiques ou individuels malveillants et donc d’énormes enjeux sur la cybersécurité qui sont d’autant plus importants que le potentiel numérique est crucial. C’est-à-dire que les entreprises vont se numériser, mais la valeur ajoutée à leur vulnérabilité est d’autant plus grande.
Enfin, on a également ce qu’on appelle les usines 4.0 avec les objets connectés, les drones et de plus en plus de personnalisation des productions. Dans le domaine de la santé, l’analyse d’image, par exemple, ce sera une aide fantastique pour un radiologue.
Constatez-vous une baisse de niveau des étudiants dans votre école d’ingénieurs ?
Tout à fait. Cependant, ce n’est pas dramatique, mais perceptible. Il y a des notions qu’ils n’ont pas vues en prépa, car il y a eu des évolutions de programmes. Pour Mines Nancy, ce n’est pas trop pénalisant, car on recrute sur des filières différentes, ce qui nous impose de remettre à niveau les élèves, afin que tout le monde ait des bases communes.
« Les étudiants sont intelligents et ont beaucoup de potentiel », François Rousseau, DG de Mines Nancy
D’autre part, les étudiants sont intelligents et ont beaucoup de potentiel. Les enseignants s’adaptent et changent le contenu des cours de mathématiques. La plus grande inquiétude, selon moi, ce n’est pas pour les grandes écoles, mais pour le reste de la population.
Classement PISA, baisse de niveau des élèves, manque d’ingénieurs… Quelles sont les conséquences sur l’économie française et l’industrialisation dans le monde professionnel ?
D’après un enseignant de London School of Economics, relayé par Les Échos, la baisse des compétences des élèves Français a une incidence économique, avec un ralentissement de la productivité. Le manque à gagner serait de 140 millions d’euros du PIB dans l’Hexagone.
Dans tous métiers d’ingénieurs dans les domaines du numérique, on sait qu’il y a des tensions fortes. Les entreprises me le disent : c’est très difficile de recruter un ingénieur en cybersécurité et en IA, et même une fois en poste, il est très vite débauché.
Cela signifie que dans les entreprises, il y aura moins de Français. Jusqu’à présent, les ingénieurs français étaient appréciés à l’étranger et c’est quelque chose qui pourrait changer si le niveau des élèves en mathématiques tend à baisser.
Il y a un enjeu économique, qui a été quantifié par la London School of Economics, mais pas spécifiquement que pour la France.
Si vous aviez le gouvernement devant vous, quelles seraient vos préconisations ?
Il faut s’assurer que tous les gens que l’on veut orienter vers des études scientifiques aient fait suffisamment de mathématiques. Il faut aussi accorder une grande importance à l’informatique, et ce dès l’école primaire. Il faut se donner les moyens d’une part pour limiter les échecs, mais surtout, pour être capables d’accompagner les décrocheurs et les raccrocher tant qu’il est encore temps.
En CP, si l’on a des classes de 25 élèves, ce n’est pas facile de les faire accrocher. Dans le classement PISA, il y a un certain nombre de préconisations. C’est un des enjeux qui est souligné : les efforts sont à placer très tôt, ce n’est pas au lycée ou en prépa que l’on va rattraper un décrochage scolaire antérieur. L’enjeu est d’agir dès que le problème se manifeste.
L’attractivité du métier d’enseignant est aussi à souligner : il est important d’évoquer l’enjeu des carrières des professeurs et de faire des efforts, notamment au niveau des salaires. Aujourd’hui, un diplômé en mathématiques, va opter pour une carrière en ingénierie et espérer gagner quatre fois plus, plutôt que de se présenter au concours du CAPES mathématiques.