Décrochage scolaire, importance du diplôme ou encore situation géographique : de nombreux critères entrent en compte lorsqu’il s’agit de s’insérer professionnellement. Et les jeunes sans diplôme en milieu rural sont majoritairement concernés par la difficulté à trouver une situation professionnelle stable, en raison de leur lieu de résidence et d’un marché du travail instable.
À travers son étude « Petits boulots et grandes galères : Être jeune sans diplôme en milieu rural », Clément Reversé, maître de conférences à l’Université Jean-Jaurès et chercheur associé au Céreq (Centre d’études et de recherches sur les qualifications) de Toulouse, dévoile les défis auxquels sont confrontés de nombreux jeunes Français et comment ils tentent tant bien que mal d’y faire face.
Du travail oui, mais pas de CDI
Ce n’est plus un secret : la précarité bat son plein. Les jeunes issus de milieux ruraux ont donc tendance à se lancer rapidement dans la vie active pour pouvoir subvenir à leur besoin. D’ailleurs, selon l’enquête Génération 2017, les jeunes ruraux sans diplôme accèdent plus rapidement à l’emploi que ceux vivant en milieu urbain (11 mois contre 13 mois). Déterminés à travailler, ils connaissent aussi moins le chômage que la jeunesse urbaine.
Pourtant, ils mettent trois mois de plus à trouver un CDI, par rapport aux jeunes urbains non diplômés, informe l’étude de Clément Reversé. Les ruraux ont donc plus de difficulté à accéder à un emploi stable et vivent dans une situation de plus grande précarité. Selon l’étude, ce paradoxe s’explique principalement par des opportunités professionnelles limitées, notamment représentées par des contrats précaires et des « petits boulots. »
Selon l’INSEE, le décrochage scolaire diminue au fil des années. Ainsi, les jeunes qui quittent les bancs de l’école sans obtenir de diplôme sont moins nombreux aujourd’hui, avec 7,6 % de décrocheurs en 2023 (contre 11,2 % en 2006).
Par exemple, un emploi en zone rurale accessible à un profil peu qualifié et sans diplôme se trouve principalement dans les secteurs agricoles, pour des besoins ponctuels et saisonniers (cueillette, vendange, etc.), ou industriels. Les jeunes ruraux vont donc accéder à l’emploi, mais restent dans une situation fragile au vu de leur type de contrat précaire (CDD, missions d’intérim, etc.).
Cette situation peu favorisée s’accompagne de conditions de travail pas toujours faciles. Au programme : flexibilité et disponibilité sans faille souvent exigées par les employeurs, indique Clément Reversé. « Ce sont des jeunes qui n’ont pas grand-chose et les recruteurs le savent. […] S’ils sont prêts à faire certaines concessions, en termes de flexibilité, de rémunération et tout, ils peuvent travailler. Après, est-ce qu’on va leur proposer un CDI ? C’est autre chose », explique un conseiller en Mission locale dans l’étude.
Une jeunesse digne et déterminée
Vivre dans une situation instable ne semble pas être un frein. D’après l’étude du maître de conférences, le manque de stabilité n’est pas un obstacle pour les jeunes ruraux. Ce qu’ils veulent, c’est travailler.« Pour eux, l’emploi ne se réduit pas à une nécessité économique : il constitue un levier d’intégration sociale et un marqueur de l’âge adulte », peut-on lire dans l’étude.
Ce besoin de travailler quoi qu’il arrive et de s’insérer socialement se traduit parfois par des comportements extrêmes de la part des jeunes. En effet, certains sondés avouent même préférer travailler sans rémunération plutôt que de rester sans activité. Selon l’étude, « cette posture révèle leur profond besoin de reconnaissance sociale, tout en contribuant à renforcer leur vulnérabilité sur le marché du travail. »
En quête de dignité, les jeunes ruraux en viennent même à refuser l’aide de dispositifs sociaux comme le RSA (revenu de solidarité active), par crainte d’une stigmatisation, informe l’étude. « J’ai pris le RSA pendant trois mois, mais c’était parce que je ne pouvais plus rien payer. Après, dès que j’ai trouvé un boulot, j’ai tout arrêté. Je ne veux pas qu’on me prenne pour un assisté », explique Tiago, 26 ans et intérimaire.
Ce qui paraît pour eux logique les enferme pourtant dans un cycle de précarité et les empêche d’accéder à une véritable indépendance. Ainsi, les jeunes ruraux sans diplôme se retrouvent dans un double mécanisme qui leur porte préjudice : « D’un côté, l’impératif de travailler pour conserver son honneur social les pousse à accepter des emplois précaires. De l’autre, les transformations du marché du travail, combinées à une inflation du diplôme, les condamnent à rester à la marge », avance Clément Reversé.
Conclusion ? Ces jeunes sont déterminés à travailler pour « préserver leur honneur », mais apparaissent malheureusement « comme les exploités d’un marché du travail rural en quête permanente de main-d’œuvre adaptable et temporaire. » Erwan, intérimaire de 25 ans interrogé pour l’étude, en est la preuve : « Même si j’ai un job un peu loin je le fais, parfois c’est pour gagner une misère, mais il faut tout accepter selon moi, ça fait bien devant les patrons et devant la boîte d’intérim de montrer qu’on est là et qu’on est disponible. »
Ainsi, les jeunes ruraux semblent renforcer eux-mêmes leur isolement, puisqu’ils préfèrent accepter « des conditions de travail souvent dégradées, dans des secteurs où l’instabilité est la norme, par peur d’être assimilés à une figure sociale qu’ils rejettent », plutôt que de subvenir à l’assistanat pour en finir avec leur vulnérabilité économique et parvenir à accéder à une certaine stabilité professionnelle. L’objectif à l’avenir ? Revoir les besoins spécifiques des territoires ruraux en termes d’éducation, pour permettre à ces jeunes d’accéder à de belles opportunités.
*Cette étude a été réalisée à partir d’une centaine d’entretiens avec des jeunes ruraux non diplômés de la région Nouvelle-Aquitaine, entre 2017 et 2021.