D’un apprentissage dans un restaurant étoilé à des études tournées vers l’humanitaire, il n’y a qu’un pas qu’Anaël ne regrette pas d’avoir franchi. À 24 ans, l’élève termine un master 2 Politique, Discriminations, Genre, à Sciences Po Toulouse. Ce cursus lui a permis d’effectuer un service civique de six mois chez Utopia 56, une association d’aide aux réfugiés.
Une expérience qui lui a confirmé sa passion pour le social et l’humanitaire, bien éloignée de son parcours initial. Au lycée, avec sa passion pour la cuisine, Anaël - qui s’identifie comme non binaire - opte pour un bac technologique STHR (Sciences et technologies de l’hôtellerie restauration), avant d’entrer en BTS dans le même domaine. Une formation suivie en alternance dans un établissement renommé, avant de décider de se réorienter. Rencontre.
Qu’est-ce qui t’a fait changer de voie ?
Au bout d'un an d'apprentissage en BTS Management de l’hôtellerie restauration, dans un contexte professionnel très exigeant, j'ai fini par faire un burn-out, avec des complications au niveau de ma santé mentale. Je travaillais entre 60 et 70 heures par semaine et les valeurs ne me correspondaient pas du tout.
En même temps, j’ai rejoint une association de mon école qui vise à fournir un accès équitable à l’éducation pour des enfants en Thaïlande. J’y étais secrétaire et responsable événementiel pour organiser des récoltes de fonds. J’ai découvert une dimension sociale que je ne retrouvais pas du tout dans mon domaine d’études. Ça m'a permis de retrouver du sens dans ce que je faisais, de tenir.
J’ai réalisé qu’avoir réussi à intégrer un apprentissage considéré comme prestigieux après 5 ans d’études, ce n’était pas un prétexte pour faire carrière dans ce domaine.
Puis, le Covid est arrivé, écourtant le voyage organisé par mon asso en Thaïlande. Une période compliquée, mais aussi très bénéfique : elle m’a permis de me poser les bonnes questions et de me réorienter. J’ai réalisé qu’avoir réussi à intégrer un apprentissage considéré comme prestigieux après 5 ans d’études, ce n’était pas un prétexte pour faire carrière dans ce domaine.
Quelles études as-tu suivies pour te rediriger dans l’humanitaire ?
Suite à ma première année de BTS, j’ai intégré une licence en deuxième année de sciences humaines et sociales à Grenoble. J’ai choisi des cours de spécialité sur les domaines des migrations et de l’égalité des genres. En parallèle, j’ai poursuivi mon engagement associatif dans une asso qui organise des maraudes pour les sans-abris.
Lors de mon année Erasmus en L3, j’ai étudié à Prague, en République Tchèque et j’ai suivi un module de spécialité sur les migrations européennes et sur l’égalité des genres. Ensuite, j’ai cherché un master en lien avec la lutte contre les discriminations. J’ai donc postulé au concours d’entrée en quatrième année à Sciences Po Toulouse pour effectuer le master Politique, Discriminations, Genre. Là, j’ai rejoint deux associations, une asso féministe et une asso LGBTQI+.
Pourquoi avoir choisi de faire un service civique chez Utopia 56 ?
Il est très difficile de faire un stage dans le domaine associatif. Souvent, les associations n’ont pas assez de financements pour pouvoir rémunérer des stagiaires sur de longues périodes. Mais j’ai pu négocier avec ma formation pour faire un service civique à la place de mon stage obligatoire de fin d’études.
J’ai alors postulé chez Utopia 56, à l’antenne de Toulouse, que je suivais sur les réseaux sociaux. Je trouvais leurs actions hyper inspirantes et leur posture équilibrée dans leur action humanitaire. L’association propose à la fois une aide d’urgence, avec une intervention en France, mais aussi des actions de long terme, avec un accompagnement administratif de personnes exilées.
Quelles étaient tes missions en service civique ?
Chez Utopia 56, j’étais m’occupais principalement de l’ouverture de droits administratifs et d’un soutien en vue d’une future prise en charge sanitaire des personnes exilées. Je créais des dossiers d'aide médicale d’État et d'ouverture de droits à l'assurance maladie. J'accompagnais aussi les personnes précaires, vivant dans des bidonvilles et des squats, dans leurs démarches professionnelles, en les aidant pour leurs CV ou lettres de motivation.
Parfois c’est dur émotionnellement, mais je trouve que ça en vaut la peine.
À côté de cet accompagnement individuel et administratif, j’ai également participé à la communication et au plaidoyer sur nos mobilisations. J'ai aussi contribué au développement événementiel pour une récolte de fonds. On a monté deux événements sur les six mois de service civique : une braderie solidaire et une soirée, avec une programmation d'artistes, de concerts et de stands de création avec des artistes dans un café socioculturel à Toulouse.
Qu’est-ce qui t’a plu dans ce travail ?
Ce que j'ai adoré, c'est de pouvoir agir concrètement et en contact avec les personnes qu'on aide. C'était hyper intéressant et stimulant. Parfois c’est dur émotionnellement, mais je trouve que ça en vaut la peine. Ensuite, j’ai beaucoup aimé la partie liée à la coordination et à la gestion de projet. Cela correspond plus à mes ambitions professionnelles pour la suite. J'ai justement choisi ce service civique parce que ça me permettait d'avoir un rôle hyper polyvalent, à la fois sur des actions concrètes de terrain, mais aussi sur de la de gestion de projet.
C’était la première fois que je me sentais aussi utile. Utopia est une association plus structurée que celles que j’avais connues avant ; il y a une vraie stratégie de développement. Donc j'ai beaucoup plus appris en matière de stratégie humanitaire. Et je trouve que ça fait du bien aussi de sortir du cliché selon lequel le milieu associatif est réservé aux retraités. Alors que chez Utopia, il y a vraiment beaucoup de jeunes, que ce soit dans les bénévoles, mais aussi du côté des coordinateurs et coordinatrices.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Actuellement, je m’apprête à rendre mon mémoire de fin d’études : je travaille sur les raisons du manque d'inclusion des transidentités dans les politiques de lutte contre la discrimination des collectivités territoriales. Cela n'a rien à voir avec mon service civique, mais mon objectif c'est de pouvoir allier mes deux thématiques dans mon travail : le droit des personnes exilées et les droits LGBT. Idéalement, j'aimerais trouver un travail plutôt dans une ONG, une association ou un organisme public qui mêle les deux sujets.
Quels conseils donnerais-tu à une personne qui veut se lancer dans l’humanitaire ?
Si tu hésites à te lancer, dis-toi que travailler dans l’humanitaire ça signifie avoir un travail au quotidien qui est aligné avec tes valeurs. Ça peut effectivement être dur au début, notamment côté salaire. Mais je pense qu'il faut commencer par s'engager dans l’associatif à côté de ses études, dans la mesure du possible, pour affiner un peu ses choix, les domaines qu'on préfère. Parce que l’humanitaire, c'est très large finalement.
Et puis, il faut aussi essayer de s’éduquer avec des vidéos, des guides, des podcasts sur les limites de l’humanitaire, au regard des actions menées à l’étranger notamment, en tant que personne blanche, occidentale, qui a le privilège d’avoir des papiers. C’est un apprentissage nécessaire pour remettre en question sa posture, mais aussi pour connaître les risques liés à ce travail.