Dans le placard de son père ! C’est là qu’a commencé la vocation d’Ines. Si son parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille, entre réorientation, isolement du confinement et pression créatrice, il raconte parfaitement ce que vivent beaucoup d’étudiants : chercher sa place, se confronter au doute, mais persévérer.
Aujourd’hui en cycle master Direction Artistique & Management de Collection à MODART, finaliste du Festival international des créateurs de mode de Dinan 2024 et en stage chez Balmain, Ines poursuit son ascension. Portrait d’une jeune créatrice.
Comment ta passion pour la mode est-elle née ?
J’ai grandi dans un pays encore attaché à de nombreux stéréotypes sur l’image de la femme : on doit porter des couleurs, être féminine, se maquiller, se lisser les cheveux… Moi, je ne me reconnais pas forcément dans cette image. Et en fait, pour affirmer ma différence, plus jeune, j’allais dans le placard de mon père emprunter ses vêtements, ses tailleurs, ses vestes, ses chemises.
Je n’avais aucune notion de couture, alors je prenais des pinces à nourrice et je rafistolais les vêtements sur moi. Ma mère étant professeure en école d’architecture en Tunisie, j’ai aussi grandi parmi les peintures, les maquettes, les dessins et la photographie.
Tu t’es réorientée avant d’intégrer MODART. Comment as-tu vécu cette période ?
Je suis arrivée en France en 2020, après mon bac et j’ai intégré une école de commerce. Finalement, au bout de trois mois, j’ai eu envie de changer. Ça se passait plutôt bien, sauf qu’entre-temps, le Covid est passé par là et il y a eu le confinement. La plupart des cours étaient en visio et c’était assez dur de se retrouver seule dans un studio, sans pouvoir voir ma famille restée en Tunisie.
C’était un contexte compliqué, sans compter que je sentais que ces études ne me correspondaient pas forcément. Mais, j’ai redonné une chance au commerce. J’ai effectué une rentrée décalée en janvier, dans un cursus différent, mais dans la même école. Je suis restée deux mois de plus avant de réaliser pleinement que je ne me voyais vraiment pas dans cet univers. Ensuite, j’ai cherché des écoles de mode.
Ta famille t’a-t-elle soutenue dans cette réorientation ?
Mes parents m’ont soutenue à 100 % dans ma réorientation ! À vrai dire, ma mère s’était elle-même réorientée plus jeune pour passer de l’informatique à l’architecture. Après ma rentrée décalée, on a commencé à se renseigner sur les différentes écoles de mode.
« J’ai vraiment suivi mon instinct et je me suis appuyée sur le soutien de ma famille. »
Grâce au parcours de ma mère, je me suis dit : « OK, ce n’est pas parce qu’on se réoriente qu’on ne peut pas réussir dans un domaine artistique ». Pourtant, autour de moi, on m’a dit qu’il fallait que je fasse attention et que je devais vraiment être sûre de ma décision. Et c’est vrai que sur le moment, j’avais vraiment zéro notion de couture, à part un peu de culture générale artistique et cet amour-là pour le style, les couleurs, les volumes, etc. J’ai vraiment suivi mon instinct et je me suis appuyée sur le soutien de ma famille. J’ai foncé et ça a payé !
Quels ont été les moments forts de ton parcours à MODART ?
J’ai d’abord effectué mes trois années de bachelor en stylisme-modélisme. Toute la dernière année s’organise autour de la collection de fin d’année, avec le défilé et le jury qui valide nos trois années d’études. Dès l’été, avant la rentrée, on nous demande de commencer à faire des recherches par rapport à des thèmes de collection et des thématiques qu’on veut aborder.
Ensuite, on commence à faire des croquis et à affiner notre direction artistique, en parallèle des cours de modélisme. Tous les mois, de janvier au défilé, en juin, un jury évalue notre avancée. C’est assez stressant, mais c’est aussi très satisfaisant. On est dans un univers qu’on aime et qui nous passionne. Voir, au fur et à mesure, nos créations prendre vie, c’est vraiment incroyable. Le défilé était la concrétisation de trois années de travail. L’émotion était tellement forte… C’était un pur bonheur !
En juin 2024, tu as présenté ta collection Anmat au défilé de fin d’année. Peux-tu nous en parler plus en détail ?
Anmat, ça veut dire patron de couture en arabe. Donc, le nom était avant tout un hommage à mes origines. La collection parle de déconstruction, à la fois des patrons de couture, mais aussi du corps humain. Cela passe notamment par les illusions d’optique que j’essaye de créer. Je voulais aussi partir sur une gamme de couleurs très sombre, avec du noir, du blanc et un peu de gris, tout simplement parce que quand j’empruntais les vêtements de mon père dans son placard, j’avais souvent affaire à des couleurs neutres.
Pour ce qui est des matières, j’aime beaucoup ce qui est rigide. J’ai donc utilisé du denim, du molleton et de l’enduit aussi. Je l’ai utilisé sur l’envers du tissu pour avoir un aspect déperlant qui ressemble un peu à du simili cuir, mais en moins luisant.
Tu évoques dans ta collection un lien fort avec la vision. Peux-tu revenir sur ce que toi et ta mère avez traversé ?
Mon amour pour les illusions d’optique vient de ce que ma mère et moi avons vécu. À des degrés et époques différentes, on a failli toutes les deux perdre la vue. Du côté de ma mère, c’était assez grave et ça m’a beaucoup marqué durant mon enfance. Elle a eu un décollement des deux rétines, puis a subi une opération.
« Pour moi, les émotions et le vécu sont le meilleur moteur de création. »
Moi, c’était plus léger, mais j’ai toujours une fragilité au niveau des yeux. Ça m’a fait pas mal cogiter et j’ai toujours voulu travailler ça dans mes créations. Pour moi, les émotions et le vécu sont le meilleur moteur de création.
Tu seras diplômée en 2026. Pour l’heure, quelle est la suite pour toi ?
Pour l’instant, ce que je cherche, c’est surtout à gagner en expérience. Ensuite, j’aimerais aussi prendre le temps de lancer quelques projets personnels. J’ai plusieurs idées à développer et à maturer.






