Tout travail mérite salaire… mais encore faut-il que le diplôme paie. Longtemps, effectuer de longues études symbolisait l'assurance d'un bon revenu et d’une carrière stable. Mais dans un marché saturé de diplômés, cette équation semble s'effriter.
Selon l’Insee, un étudiant titulaire d'un master gagne en moyenne 30% de plus qu’un bac+2. Alors que les jeunes qui ont décroché un bac+5 n’ont jamais été aussi nombreux, le lien entre diplôme élevé et rémunération attractive tend à se fragiliser.
Massification de l’enseignement supérieur : trop de bac+5 tue le bac+5 ?
Master décroché, gros salaire assuré ? Pas si sûr. En France, le nombre d'étudiants a franchi la barre symbolique des 3 millions à la rentrée 2024, selon les données du ministère de l'Enseignement supérieur. Dans les années 1980, ils étaient seulement 330 000 dans l'Hexagone à s'inscrire sur les bancs de la fac. Une multiplication par 9 en 40 ans, portée par la démocratisation de l'accès au supérieur.
Ce changement se lit aussi dans la société : selon l'Insee, 34 % des 25-34 ans ont aujourd'hui un diplôme supérieur à bac+2, contre 13 % des 55-64 ans. Une génération entière est donc passée d’un accès restreint aux études post-bac à une massification quasi-généralisée des études supérieures.
Résultat des courses : Une « banalisation » des diplômés en master, boostée par les parcours professionnalisants. « De plus en plus d’étudiants accèdent au bac+5, c’est une réalité », affirme Cyril Blondet-Vargas, directeur des programmes à l’École de management Léonard de Vinci (EMLV). « Mais il faut distinguer la quantité et la qualité. Tous les établissements ne sont pas au même niveau », ajoute-t-il.
Diplômés, oui. Reconnus, pas toujours
Diplôme en poche, salaire à la hausse et reconnaissance assurée… L'équation semblait simple. Et pourtant, aujourd’hui, la réalité s'est complexifiée. « On peut parler d’inflation des diplômes de bac+5, mais encore faut-il relativiser par la qualité des diplômes et la reconnaissance par l’État », explique Cyril Blondet Vargas.
En France, ce n’est pas tant le diplôme en lui-même, ni l’établissement qui le délivre qui détermine sa valeur officielle. À l’université, le système licence-master-doctorat (LMD) repose sur des diplômes nationaux, reconnus automatiquement par l’État et délivrés par le ministère de l’Enseignement supérieur. Ce triptyque connu de tous garantit une équivalence européenne et une continuité entre les différents niveaux d’études.
Dans les grandes écoles en revanche, la reconnaissance dépend de plusieurs labels : un master doit être visé par l’État, inscrit au RNCP ou bénéficier du grade de master pour être reconnu au même titre qu’un diplôme universitaire. À l’inverse, un titre non reconnu, même exigeant ou réputé dans un milieu professionnel, ne donne pas accès à la poursuite d’études ni à certains concours publics.
« Dans les écoles de commerce, mon domaine, il existe plus de 300 à 330 écoles de management en France dont moins de la moitié sont reconnues par l’État. Certaines délivrent des diplômes “maison”, estampillés bac+5, mais sans réelle valeur académique, ni reconnaissance par le ministère du Travail ou celui de l’Enseignement supérieur », ajoute Cyril Blondet Vargas.
Compétences, alternance et salaire : la réalité du terrain
À l’heure où le bac+5 s’est largement démocratisé, la vraie question n’est plus : « As-tu le diplôme ? », mais plutôt : « Que sais-tu faire avec ? » avec une « démarche compétence » qui prend de plus en plus d’importance. Pour le directeur des programmes de l’EMLV, « le diplôme sert à montrer qu’on a acquis des compétences concrètes et qu’on est capable de s’insérer sur le marché du travail ».
L’essor de la formation en alternance illustre parfaitement ce changement de paradigme : les étudiants peuvent combiner théorie et pratique, percevoir un salaire tout en poursuivant leurs études, et surtout acquérir une première expérience significative. Une stratégie jugée gagnante, dans un marché où les entreprises recherchent des profils immédiatement opérationnels.
Le prestige du diplôme joue-t-il encore dans la négociation salariale ? Pour Cyril Blondet-Vargas, la réponse est oui : « Les entreprises, surtout les grandes avec des RH structurées, connaissent les écoles et ont des grilles de salaire adaptées ». Cependant, la concurrence s’intensifie avec le nombre croissant de candidats : on attend aujourd’hui quasiment systématiquement un bac+5, alors même que certains diplômés de bachelor possèdent déjà les compétences nécessaires pour occuper certains postes. « Malgré tout, les étudiants préfèrent majoritairement poursuivre en bac+5 plutôt que d’entrer sur le marché du travail à bac+3 », note-t-il.
Profils « clé en main »
Le niveau d’études reste un gage de travail et de qualité, mais l’expérience compte tout autant. « L’alternance a l’avantage de donner de l’expérience aux jeunes », explique Cyril Blondet-Vargas, un atout particulièrement recherché par les entreprises françaises qui veulent des profils « clé en main ». Cependant, un jeune diplômé ne peut jamais être totalement opérationnel dès la sortie de l’école. « On apprend en pratiquant », juge-t-il.
Le directeur des programmes voit également une différence avec le modèle anglo-saxon. « Outre-Atlantique, on recrute davantage de profils sans expérience pour les former à l’image de l’entreprise ». Dans l’Hexagone, on confond parfois alternance et autonomie totale : même après deux ou trois ans en entreprise, un étudiant possède de l’expérience, mais n’est pas complètement formé à tous les métiers.
Les chiffres confirment cette tendance : selon le dernier baromètre de la Conférence des grandes écoles (CGE), les diplômés de grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce débutent en moyenne à 39 604€ bruts annuels, contre 30 à 32 000€ pour les titulaires de masters universitaires. La différence ne tient pas seulement au prestige de l’établissement, mais aussi à la qualité de la formation, aux stages, à l’alternance et à la reconnaissance officielle du diplôme.
Autrement dit, longues études combinées aux compétences et à l’expérience pro induit un meilleur salaire… mais pas toujours le jackpot. La concurrence reste forte, et le marché exige des profils immédiatement opérationnels.
Le master conserve sa valeur, mais il ne suffit plus de le décrocher pour réussir. La clé : choisir une formation reconnue, acquérir des compétences concrètes et profiter de toutes les occasions d’expérience professionnelle, via les stages et l’alternance. Dans la vie active, la longueur des études n’est plus nécessairement une garantie, mais un tremplin qu’il faut savoir exploiter.






