Pédagogie de l’alternance : « Chaque parcours de jeune est unique, cette singularité nécessite d’être prise en compte »

À travers une étude intitulée “Penser et mettre en œuvre une pédagogie de l’alternance efficace”, Solveig Fernagu, directrice de recherche à CESI, met en lumière les enjeux et les pratiques favorables au développement de l’apprentissage. Interview.
Mis à jour le / Publié en avril 2023
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© Andrea Piacquadio / Pexels.com

On ne présente plus la formation en alternance, tant elle s’est développée de nos jours dans les études supérieures. Selon une note du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, pendant l’année 2020-2021, 51,4 % des apprentis étaient étudiants dans le sup'. Un chiffre qui a quasiment quintuplé depuis 2005. 

Avec un développement de l’apprentissage conséquent, qui continue de prendre de l’ampleur depuis la crise sanitaire liée au Covid-19, il convient de se questionner sur ses pratiques et son déroulement.

Solveig Fernagu est directrice de recherche à CESI, grande école d’ingénieurs de l’Hexagone. Elle s’est interrogée sur les enjeux et les pratiques de l’alternance, au travers d’une étude intitulée « Penser et mettre en œuvre une pratique de l’alternance efficace ». Cette étude transverse à plusieurs secteurs d’activité (métallurgie, artisanat, agriculture, plasturgie, chimie…) a été financée par l’OPCO2i et commanditée par l’Observatoire des compétences de la Métallurgie. Une façon, selon elle, de définir ce que peut être une bonne pédagogie de l’alternance et d’y référer un ensemble de ces pratiques pédagogiques. 

Sur quels éléments et facteurs vous êtes-vous penchés pour réaliser votre étude sur les pratiques de l’alternance ? 

Plusieurs phases ont été nécessaires pour réaliser cette étude. Une première phase documentaire à vocation scientifique a eu pour objectif de recenser ce que raconte la recherche sur les questions en lien avec les pédagogies de l’alternance. C’est une phase au cours de laquelle nous avons également cherché à repérer ce qui se passe chez nos voisins, à l’étranger.

La seconde phase a été exploratoire et plus empirique, puisque nous avons interviewé des responsables d’organisations professionnelles, des représentants syndicaux, des responsables et des formateurs de CFA, au total 141 personnes, issus de plusieurs secteurs d’activités comme l’industrie, la plasturgie, l’agriculture, la chimie et l’artisanat. Côté apprenants, nous avons rencontré et interviewé 46 alternants et soumis un questionnaire en ligne pour lequel nous avons reçu 1700 réponses, tout niveau de formation confondu. 

Ensuite, nous avons mis en lien ce que dit la recherche et ce que racontent les pratiques de terrain pour produire une définition de ce que pourrait être une bonne pédagogie de l’alternance. À partir de cette définition, nous avons construit un guide pratique de la pédagogie de l’alternance, venant l’étayer et l’illustrer.

La formation en alternance est-elle très développée au sein de votre école d’ingénieurs ?

CESI forme des étudiants du bac+3 au doctorat et dispose de 25 écoles d’ingénieurs réparties sur le territoire français. En France, nous sommes le premier établissement d’enseignement supérieur à avoir ouvert nos portes à l’apprentissage et à avoir réfléchi aux pédagogies de l’alternance. Sur nos 26 000 étudiants, 20 000 sont des alternants. Notre expérience nous permet de bénéficier d’une bonne connaissance de ce sujet, à la fois sur le plan réglementaire et pédagogique. Nous développons l’idée de double alternance grâce aux pédagogies du projet que nous mettons en place au sein des scolarités. L’entreprise singularise les parcours, notre rôle est de les rendre équitables.

Qu’est-ce qu’une bonne pédagogie de l’alternance pour vous ? 

Notre étude a conduit à la définition suivante : « Une pédagogie de l’alternance organise et relie un ensemble de moyens, de ressources et de situations qui oscillent entre monde de la formation et monde du travail, et dont les itérations structurantes mettent l’alternant en capacité de se développer »

Pensez-vous que l’alternance a le vent en poupe grâce aux aides de l’État qui ont été attribuées au début de la crise sanitaire ? 

Je pense que c’était déjà le cas avant la crise sanitaire notamment grâce à la loi « Choisir son avenir professionnel » qui reconnaît comme jamais les bénéfices de la formation au plus près du travail, de la formation expérientielle. On ne peut pas nier que les aides de l’état ont sans doute facilité l’adoption de comportements opportunistes de la part d’un certain nombre d’établissements de formation qui se sont lancé dans l’aventure de l’alternance. C’est une manne financière qui peut permettre d’améliorer les infrastructures pédagogiques, de mieux équiper les dispositifs pédagogiques et d’optimiser les modalités d’accompagnement des formations.

Mais plus d’argent ne veut pas toujours dire plus de réflexion sur les conditions de l’efficacité pédagogique des dispositifs de formation par alternance. Et c’est pour cela que l’État réfléchit aujourd’hui plus que jamais à produire des indicateurs qualité qui soient différents de ceux que l’on a l’habitude de mobiliser tels que le taux d’insertion, de ruptures, ou encore de poursuites d’études, car ils sont de moins en moins discriminants notamment pour juger de la qualité de l’alternance.

Ainsi, plus le diplôme est élevé, plus le taux d’insertion est équivalent entre formations classiques et en alternance. De nouveaux indicateurs sont à identifier pour juger de la qualité des formations, sans doute moins statistiques et plus pédagogiques.

Aujourd’hui, beaucoup d’organismes de formation se contentent de faire vivre des formations plus alternées qu’en alternance. La formation en centre d’un côté, la formation en entreprise de l’autre. Les itérations structurantes entre les deux mondes n’y sont pas toujours présentes. Les mondes se côtoient, mais ne se rencontrent pas. C’est une première difficulté pour relier les apprentissages. La seconde difficulté relève de la manière dont on peut étayer la capacité de l’apprenant à s’en débrouiller.

Quelles sont les pratiques favorables au développement d’une bonne pédagogie de l’alternance ? 

La finalité de toute bonne pédagogie de l’alternance, c’est la professionnalisation. Si l’alternance permet aux apprenants de se développer, elle est professionnalisante. Se développer consiste à acquérir une véritable expérience professionnelle et une forte capacité à s’adapter à la diversité des situations et contextes professionnels. Cela suppose de mettre en œuvre des modalités pédagogiques spécifiques qui relient formation et travail. 

Cela permet à l’apprenant de devenir plus autonome et responsable pour s’impliquer dans son développement et construire des liens entre les espaces du travail et de la formation ; de développer des compétences ajustables et transportables d’un milieu à l’autre, et par là même, son employabilité.

Il existe différentes manières d’exercer un métier, la pédagogie de l’alternance dispose d’un atout quasi introuvable dans d’autres formes de pédagogies : permettre aux alternants d’accéder à toutes les modalités d’exercice d’un métier. Pour les enseignants et les formateurs, c’est l’occasion de repérer des besoins d’approfondissement ou de formation.

« Tous les jeunes n’ont pas les mêmes besoins, ni en termes d’apprentissage, ni en termes de compétences ou de comportements » — Solveig Fernagu, directrice de recherche à CESI LINEACT

Chaque parcours de jeune est unique, ne serait-ce qu’en raison du terrain où il réalise son alternance. Cette singularité nécessite d’être prise en compte à la fois par les formateurs et les maîtres d’apprentissage. Une bonne pédagogie de l’alternance nécessite de mettre en œuvre les moyens de l’individualisation, aucun jeune ne prend le même chemin pour apprendre. Tous les jeunes n’ont pas les mêmes besoins, ni en termes d’apprentissage, ni en termes de compétences ou de comportements. 

C’est vrai, que l’on fait peser une grosse responsabilité sur les formateurs et les maîtres d’apprentissage, car c’est du travail que de déployer une pédagogie de l’alternance qui soit vertueuse et professionnalisante. Ce qui ne dispense en aucun cas non pas d’évaluer leur engagement, mais la qualité des actions mises en œuvre. Un trop grand nombre d’organisations profite des fonds de l’apprentissage sans se donner les moyens d’en faire vivre les atouts, que cela soit du côté des centres de formation ou de celui des entreprises. Les abus sont bien là.

Selon un baromètre de BVA publié en février 2023, 1 apprenti sur 4 ne termine pas son contrat. Plusieurs facteurs entrent en compte : on parle de la « grande démission », le manque de satisfaction dans la réalisation des tâches ou encore le comportement. À votre avis, ce phénomène va prendre de l’ampleur ou ce sont seulement des cas isolés ?

Quand plus de 25 % des jeunes rompent leur contrat d’alternance, on ne pas parler de cas isolés. Difficile de dire que cela va prendre de l’ampleur ou non. Il y a néanmoins un sérieux risque si les questions d’accompagnement ne sont pas plus revisitées.

Le taux de rupture peut s’expliquer de différentes manières. Du côté des jeunes, cela peut se traduire par des missions en entreprise qui ne sont pas à la hauteur de leurs attentes, ou une déception relative au métier ou à ses conditions d’exercice par exemple. Du côté des organisations, un manque d’implication dans le process de formation et les apprentissages des jeunes, une absence de lien entre les organisations, un manque de prise en compte des besoins d’accompagnement, etc. Ce qui peut conduire à des ruptures ou du désengagement. 

« La formation en alternance a besoin d’être accompagnée, sans cela ça peut devenir une cause de rupture » — Solveig Fernagu, directrice de recherche à CESI

La formation en alternance a besoin d’être accompagnée, sans cela, cela peut devenir une cause de rupture. Cela peut davantage se propager si l’on continue de subventionner des formations sans prendre le temps d’évaluer les efforts de formation réellement fournis en termes d’engagement, d’accompagnement, de moyens et de ressources d’apprentissage… mais sans perdre de vue que personne ne peut apprendre à la place de l’autre. La qualité de l’engagement des jeunes est peut-être aussi à mesurer.

Selon vous, est-ce que la formation en alternance convient à tous les jeunes ? 

Elle ne convient pas à tous les jeunes. Il y en a certains qui grandissent dans des dispositifs classiques, ils ont besoin de la formation initiale et s’y sentent bien. Certains jeunes favorisent les lieux protégés comme les structures universitaires, quand d’autres prennent des risques et affrontent le marché du travail, car ils seront considérés comme des salariés. Tout ce qu’ils font peut impacter la production, les équipements ou les emplois périphériques. Être alternant relève, dans certains cas, d’une vraie responsabilité.

Quand on interroge les jeunes dans notre étude sur les raisons qui les ont conduit à opter pour ce mode de formation, ils nous disent qu’ils ont besoin de concret, de manipuler, d’expérimenter, d’aller sur le terrain, confronter la théorie à la pratique, d’être considérés. 

Il y a aussi des motivations liées à l’émancipation pour des raisons financières ou pour échapper à des situations familiales complexes. Certains sont prêts à s’engager dans l’apprentissage pour quitter le domicile parental et prendre leur indépendance. Mais cela ne veut pas dire prendre son autonomie non plus. Il n’empêche que la plupart des jeunes qui favorisent les études en alternance le font c’est pour avoir un pied dans la vie professionnelle et au contact des réalités professionnelles. 

« Nombreux sont les étudiants qui se dirigent vers les BUT ou les licences professionnelles, car elles sont proposées en alternance et qu’ils ont envie d’aller voir ce qu’ils appellent la “vraie vie” » — Solveig Fernagu, directrice de recherche à CESI

Être en phase avec le monde professionnel est très important pour les jeunes générations. Nombreux sont les étudiants qui se dirigent vers les BUT ou les licences professionnelles, car elles sont proposées en alternance et qu’ils ont envie d’aller voir ce qu’ils appellent la « vraie vie ».

La formation en situation de travail est une composante importante de la pédagogie de l’alternance. Cette dernière peut avoir lieu en entreprise, mais aussi au sein des organismes de formation pour amener les apprenants à rencontrer les situations qu’ils ne voient pas en entreprise (étude de cas, jeu de rôle, simulation, réalité virtuelle, pédagogie du projet, etc.). C’est ce que j’appelle l’alternance dans l’alternance. Finalement, c’est permettre aux jeunes de se développer, d’exercer leur esprit critique, de se confronter à une pluralité de situation-problèmes, de leur ouvrir les yeux sur la diversité des moyens de les résoudre… Il s’agit de leur proposer des environnements d’apprentissage qui les mettent en capacité d’apprendre : apprendre à être, apprendre à faire et apprendre à devenir.

Le gouvernement veut renforcer l’apprentissage dès le lycée professionnel, notamment par le biais de sa réforme. Qu’en pensez-vous ? 

On se rapproche d’autres systèmes que l’on peut voir à l’étranger, notamment le système dual allemand. Je pense que ce peut être une bonne chose, sous conditions. Ce qui serait embêtant, c’est de généraliser. On ne peut pas imposer le même système à tous les publics, il faut conserver une diversité de modalités d’apprentissage, car il existe une diversité de profils d’apprenants.

Si l’on devait généraliser l’alternance, il serait bien de penser une hybridation des systèmes de formation en permettant de se former dans différentes entreprises. Accéder à toutes les facettes d’un métier au travers différentes expériences. C’est un modèle qui au final pourrait se rapprocher du voyage des compagnons du tour de France. Mais, est-ce que cela va intéresser l’entreprise qui veut former à la main ses salariés ou bénéficier d’une main-d’œuvre précieuse ?

Quel est l’avenir de la formation en alternance, au sens général, dans les prochaines années selon vous ? 

Je pense que la formation en alternance au sens de l’hybridation des espaces, du temps de formation, des modalités d’apprentissage ou de travail, c’est l’avenir. La loi qui promeut la formation tout au long de la vie a favorisé cela, tout comme celle de choisir son avenir professionnel. Aujourd’hui, on se forme pendant toute sa carrière, à tout moment et en tout lieu, et on peut même le faire tout en continuant d’exercer son travail, ou non. Ce sont des formes d’alternance et d’apprenance. On se forme aussi en changeant de lieu d’exercice, en traversant d’autres contextes et situations de travail, dans l’alternance d’emplois. L’alternance peut être un état d’esprit, une philosophie, être promue comme un moyen de se professionnaliser et non une caractéristique de quelqu’un qui serait instable.

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