Difficile, aujourd’hui, de s’imaginer se passer de cet outil. Alors qu’il y a à peine trois ans, ChatGPT faisait son entrée dans nos quotidiens, l’intelligence artificielle a profondément transformé nos habitudes digitales. Un engouement particulièrement marqué chez les étudiants, qui sont 86% à utiliser l’IA dans leurs études, selon le ministère de l’enseignement supérieur.
De la simple rédaction de mails au codage d’un logiciel, en passant par le montage d’une vidéo ou l’élaboration d’un tableur excel, le constat est sans appel : utilisée pour des recherches anodines aussi bien que pour des tâches plus poussées, l’IA est partout. Et dans le monde du travail, cette compétence, vue comme un vecteur de productivité, est de plus en plus recherchée.
Si les étudiants n’ont pas attendu que l’enseignement supérieur monte au créneau pour se saisir de cette tendance, de plus en plus de cursus, tous secteurs confondus, intègrent l’IA à leurs programmes. En France, la maîtrise de cet outil en constante évolution reste toutefois le plus souvent à l’initiative des étudiants. Une pratique qui a du bon, à condition de ne pas tomber dans le piège de la facilité, au risque de nuire à son cursus. Diplomeo a mené l’enquête pour identifier les bons usages à adopter avec l’IA pendant ses études, sans se saboter.
Recourir à l’IA comme un outil, pas comme une baguette magique
Une des caractéristiques les plus notables de l’intelligence artificielle est qu’elle permet un gain de temps précieux. Rédaction de mails, question administrative, génération d’idées, traductions ou synthèses de cours… Johan Dormieux, étudiant en master cybersécurité à l’école d’informatique PSTB, utilise l’IA pour améliorer sa productivité au quotidien, autant pour ses cours que pour son usage personnel. “Ça me permet de rendre un travail en deux jours plutôt qu’en une semaine”, nous confie-t-il.
Mais l’étudiant en alternance chez Dreamin’Job - une plateforme de recherche d’emploi à destination des étudiants, qui combine l’IA et l’accompagnement humain - met en garde : si l’IA accélère la productivité, elle reste un “outil, pas une baguette magique”. Et, comme pour tout outil, ”il s’agit de bien l’utiliser”, estime l’étudiant, rappelant qu’à une autre époque, l’apparition de la calculette, outil désormais incontournable des mathématiques, avait aussi révolutionné les usages.
“L’IA ne pense pas : elle produit des résultats basés sur des probabilités. Il faut toujours vérifier ses réponses, au risque de diffuser des erreurs sans s’en rendre compte”, Manuel Clergue, enseignant-chercheur en IA à l'ESIEA
Manuel Clergue, enseignant-chercheur en intelligence artificielle à l’ESIEA, fait le même rapprochement, avec un exemple plus récent : celui de l’arrivée de Wikipedia. “Dans les années 2000, tout le monde disait que Wikipedia allait tuer l’enseignement, que les élèves ne feraient plus l’effort de faire leurs propres recherches et rédactions. Mais ça n’a pas été le cas : ils se sont servis de cette base de données comme d’un outil, qu’ils se sont approprié pour faire leurs propres travaux”, avance l’expert.
De la même manière, l’IA est un outil qu’il faut maîtriser, en commençant par ne pas lui faire une confiance aveugle. “L’IA ne pense pas : elle produit des résultats basés sur des probabilités. Il faut toujours vérifier ses réponses, au risque de diffuser des erreurs sans s’en rendre compte”, estime ainsi Manuel Clergue. Il rappelle aussi que l’IA ne doit pas remplacer l’apprentissage des bases : "Comme pour toute évolution technologique, on doit d’abord savoir travailler sans, avant de l’utiliser intelligemment”, recommande-t-il.
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Poser les bonnes questions à l’IA, ça s’apprend !
Utiliser intelligemment l’IA afin d’obtenir un résultat optimisé, ça ne s’improvise pas. “La qualité des résultats dépend surtout de la manière dont on formule sa demande”, insiste Damien Gosserie, fondateur de Dream’in Job. En clair : plus le prompt - la requête formulée auprès de l’IA - est précis et bien structuré, meilleure sera la réponse.
“La faiblesse de l’IA, c’est de partir d’une mauvaise base d’informations, qui ne serait pas personnalisée, pour répondre aux questions de l’utilisateur”, estime le professionnel. “L’importance de soigner cette base d’informations, en formulant un prompt adapté, est de taille. C’est l’élément qui va faire la différence entre une IA qui va faire le travail à la place d’un étudiant et une IA qui va l’aider à faire mieux”, ajoute-t-il.
“Quand on utilise le bon vocabulaire, en expliquant correctement le but final, l’IA peut réellement nous accompagner tout au long d’un projet”, Rachel, étudiante à PSTB
Une approche que Rachel, étudiante en troisième année de bachelor à PSTB, a bien comprise. La jeune femme a appris a utiliser l’IA toute seule au début de ses études, avant de suivre un séminaire organisé par son école. “Au début, l’IA me répondait toujours la même chose, ça manquait de nuance. J’ai compris qu’il fallait structurer mes questions et donner du contexte pour que la réponse soit vraiment utile”, confie-t-elle. “Quand on utilise le bon vocabulaire, en expliquant correctement le but final, l’IA peut réellement nous accompagner tout au long d’un projet”, selon elle.
Comme de nombreux étudiants, Rachel pense que l’IA fera partie de l’avenir. D’un point de vue professionnel, elle compte bien l’utiliser comme un “ami”, pour mettre en valeur ses compétences oratoires par exemple. “L’IA va nous permettre de transmettre des infos. À côté, ce sont nos softs skills qui seront valorisées pour trouver un métier”, estime-t-elle.
Se former à l’IA : un indispensable pour garder un esprit critique
Au-delà de la capacité à développer des prompts adaptés pour en tirer le meilleur, l’IA, en constante évolution, reste très récente. De ce fait, les risques et limites qu’elle présente sont trop souvent méconnus, ou alors ignorés. À commencer par l’utilisation des données de cet outil, qui pose une question éthique incontournable.
“Aujourd’hui, les gens utilisent ChatGPT gratuitement, sans se poser de questions. Or, il n’y a jamais rien de gratuit dans le digital : OpenAI est en train de former son outil pour en faire une machine de guerre dont on ne pourra plus se passer demain”, avertit Damien Gosserie, le fondateur de Dream’in Job. Baptiste, étudiant en ingénierie à la Coding Factory, en est conscient : "Je désactive mes outils d’IA dès que je travaille sur des données sensibles. Ou alors, je modifie les informations pour éviter qu’elles se retrouvent n’importe où”.
“OpenAI est en train de former son outil pour en faire une machine de guerre dont on ne pourra plus se passer demain”, Damien Gosserie, fondateur de Dreamin’Job
L’autre écueil de l’IA tient à sa fiabilité. “Le risque, c’est que l’on soit tenté de ne pas remettre en question la manière dont on a échangé avec le robot, même si on a le prompt qui va bien. Souvent, on n’a pas non plus la source de la réponse donnée”, avertit Yoel Tordjman, cofondateur de DataScientest, un organisme de formation sur les métiers de la tech et de la data. “Il manque une éducation sérieuse, notamment sur les risques de plagiat et la notion de propriété intellectuelle ; cela permettrait de développer un esprit critique vis-à-vis de l’outil”, affirme l’expert.
Un recul que cherchent à inculquer de plus en plus de formations en France dans le supérieur. À l’image de l’école d’ingénieur ECE, qui a lancé, fin 2024, un Fab lab dédié à l’IA. "Nous formons nos étudiants aux pratiques de l’IA générative pour les préparer aux attentes du monde professionnel", explique François Stephan, son directeur général.
L’enjeu est de “faire comprendre aux étudiants qu’il faut toujours être à la pointe”, estime François Stephan. “Et surtout on leur apprend à apprendre, une capacité à appréhender le sujet des nouvelles technologies”. Une approche indispensable pour développer une autonomie vis-à-vis de l’outil, quand on sait que l’IA se développe “7 fois plus vite que dans les autres secteurs”, rappelle le directeur.