17 % des étudiants abandonnent leurs études, faute de logement abordable. Ce chiffre, dévoilé lors d'une conférence de presse intitulée “Logement des jeunes en France, une crise sans fin” à l'École supérieure des professions immobilières (ESPI), résume à lui seul l'ampleur de la crise du logement étudiant. Autour de la table, experts et chercheurs ont décortiqué les rouages d'un système à bout de souffle.
Selon les participants, la crise actuelle du logement des jeunes n'est pas un problème isolé, mais le symptôme d'un dysfonctionnement plus large, notamment celui des constructions de logements qui s'effondrent en France depuis plusieurs années. Pour faire face à ce phénomène, l’ESPI propose des leviers pour tenter d’y remédier.
Les étudiants : une génération sacrifiée sur l'autel du marché locatif
Aujourd'hui, la France compte environ 3 millions d'étudiants, contre à peine 300 000 à la fin des années 1960. « La hausse du nombre d’étudiants est liée à la massification de l’enseignement supérieur. C’est une population sans revenus stables mais qui doit de plus en plus se loger », précise Samuel Depraz, directeur de la recherche à l'ESPI.
Une explosion démographique qui aurait dû, selon les professionnels du secteurs, s'accompagner d'un effort massif de construction de logements adaptés. Car si l'offre spécifique — résidences universitaires CROUS et privées, logements publics – existe bel et bien, elle demeure insuffisante. Celle-ci plafonne autour de 300 000 places pour trois millions d'étudiants. Résultat : environ 74 % des jeunes de 18 à 30 ans se logent dans le parc locatif privé, où ils subissent de plein fouet les lois du marché. « Ces logements sont chers, souvent de mauvaise qualité, petits, parfois insalubres, et très coûteux dans les zones tendues », renchérit Jean-Luc Berho, président de l’association Les Entretiens d’Inxauseta et membre du Conseil national de l'habitat (CNH).
Les acteurs publics et privés s'accordent à dire qu'il manque aujourd'hui environ 600 000 logements étudiants en France. « Le président de la République, dans son premier mandat, s'était engagé à en produire. La promesse n'a pas été tenue », constate Jean-Luc Berho.
« À Paris, par exemple, sans réseau ni appui familial, trouver un logement devient mission impossible », ajoute-t-il. Mais la crise ne se limite plus à la capitale. Des villes comme Rennes, Lyon ou Montpellier, longtemps épargnées, connaissent désormais de vraies tensions. Dans la ville universitaire méditerranéenne, avec 130 000 étudiants pour 450 000 habitants, la pression locative est immense.
Certaines villes moyennes (Angers, Limoges, Poitiers) disposant d'un IUT ou d'écoles spécialisées peuvent être beaucoup plus abordables, mais elles ne sont pas épargnées pour autant. « Si elles se situent dans des secteurs concurrencés par le tourisme, on observe une concurrence directe sur les petites typologies entre le marché étudiant, les locations saisonnières et les travailleurs saisonniers », précise Samuel Depraz.
Logement social et étudiant : je t’aime, moi non plus ?
Le logement social, censé être une voie d'accès privilégiée pour les jeunes, s'est lui aussi éloigné de la population estudiantine. « En 1985, 24% des titulaires d’un bail HLM avaient moins de 30 ans. Aujourd'hui, ce chiffre est tombé à 6%. C'est spectaculaire », déplore Jean-Luc Berho.
Les raisons de ce décrochage ? « Les grands logements familiaux dominent, alors que la demande des jeunes porte sur des petites surfaces », explique-t-il. Ensuite, il y a une représentation culturelle : beaucoup de jeunes pensent que « le logement social, c'est pas pour eux ». Et surtout, il y a un facteur très simple : le temps d'attente. « Quand on est étudiant ou jeune actif, on n'a pas deux ou trois ans devant soi. On a besoin d'un logement immédiat. Et ça, le logement social ne sait pas faire », tranche le spécialiste.
Ce décalage entre les besoins et l'offre a des conséquences sociales fortes, avec un départ du domicile familial de plus en plus tardif. « Aujourd'hui, l'âge moyen de départ est de 24 ans en France, et cela augmente avec le temps. En Espagne, c’est environ 30 ans, et dans certaines régions d'Italie, on dépasse les 30 ans », rappelle Jean-Luc Berho. Cela crée un sentiment d'impuissance chez les étudiants. « Quand on les interroge, on retrouve deux profils dominants : il y a ceux qui sont en colère et puis ceux qui sont résignés », détaille-t-il.
| La chaîne du logement : quand tout le système se grippe Pour comprendre pourquoi les jeunes sont les premiers à trinquer, il faut saisir le concept de chaîne du logement. « Quand il y a moins de logements neufs produits, les ménages primo-accédants ont plus de mal à acheter. Ils restent donc plus longtemps locataires et, de ce fait, bloquent mécaniquement les logements accessibles aux jeunes », explique Samuel Depraz. C'est un effet domino : chaque maillon dépend du précédent. À ce phénomène s'ajoutent d'autres facteurs. D’un côté, le poids croissant des logements saisonniers et des résidences secondaires dans les grandes villes universitaires. De l’autre, le vieillissement de la population. « Les personnes restent plus longtemps dans leur logement. Quelques années de plus, multipliées par 67 millions de Français, cela représente des centaines de milliers de logements qui ne se libèrent pas », précise le chercheur. |
Des logements inadaptés aux vrais besoins
Si les jeunes peinent tant à se loger, c'est aussi une question de surface. « On continue à construire des T3, T4 et T5 alors que la demande réelle se concentre sur des T1 et T2 », résume Samuel Depraz. Une inadéquation qui s'aggrave d'année en année.
Pour mesurer ce décalage, le laboratoire de recherche de l’école, l’ESPI2R, a mené une étude avec la Fédération des Promoteurs Immobiliers (FPI) d'Île-de-France. L'objectif ? Comparer la taille moyenne des logements produits et la taille réelle des ménages dans près de 4 800 quartiers franciliens. « Sur 98 % des quartiers étudiés, les logements produits sont trop grands par rapport à la taille des ménages », révèle Samuel Depraz.
Selon les travaux du laboratoire, il manque environ 1,6 million de petits logements en Île-de-France. « Dans la première couronne parisienne, la pénurie est très marquée. Les promoteurs le constatent eux-mêmes : les grands logements se vendent mal, tandis que les T1 et T2 partent très vite, parfois avant même d'être livrés », précise le chercheur. Ce décalage crée un paradoxe français : d'un côté, des promoteurs qui font face à des invendus. De l'autre, une pénurie criante de petites surfaces abordables.
Les pistes pour sortir de l'impasse
Face à ces constats, les intervenants de l’ESPI ont esquissé plusieurs pistes concrètes pour sortir de l'impasse. Première urgence : faciliter l'accès au marché locatif pour les jeunes. « Le parcours du combattant, pour un étudiant ou un jeune actif qui cherche un logement, commence toujours par là : le dossier », explique Jean-Luc Berho. Les propriétaires réclament des garants solides, des CDI, des revenus trois fois voire quatre fois supérieurs au loyer... « Ce sont des critères que la plupart des jeunes ne peuvent pas remplir. De fait, leurs dossiers sont écartés d'office, même lorsqu'ils sont sérieux. »
C'est pourquoi la garantie Visale, mise en place par Action Logement, est considérée comme un outil essentiel. « C'est une mesure vitale pour rétablir l'égalité des chances à l'entrée sur le marché locatif, mais elle reste trop peu connue et pas assez étendue », insiste Jean-Luc Berho. Ce que les experts proposent, c'est d'aller vers une garantie universelle des loyers, financée par la solidarité nationale, qui sécuriserait à la fois le bailleur et le locataire.
Deuxième levier : soutenir la formation en alternance. « Beaucoup d'étudiants sont aujourd'hui obligés de travailler en parallèle de leurs études pour financer leur logement. C'est une réalité connue. Mais cela se fait parfois au détriment de la réussite », rappelle Jean-Luc Berho.
L'alternance permet de cumuler études et revenus financiers, mais certains arbitrages récents sur la réduction des aides à l’embauche d’un apprenti risquent d'aggraver la situation. « Toucher à l'apprentissage, dans le contexte actuel du logement, ce serait alimenter la crise », martèle Jean-Luc Berho. « Sans toit, pas d'études, pas d'emploi, pas d'autonomie. Le logement des jeunes n'est pas un sujet périphérique, il est au cœur de la fracture sociale ».
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Coliving, colocation et nouvelles formes d’habitation
Face à la pénurie, de nouveaux modèles d'habitat émergent. Le coliving, importé des États-Unis et du Royaume-Uni, séduit certains étudiants par son concept : de longs espaces privés réduits compensés par des parties communes. Néanmoins, « le coliving est une réponse partielle », selon le chercheur. « Les étudiants et les jeunes actifs sont, globalement, relativement plus pauvres que la moyenne des ménages français. Or, Le coliving sont des produits coûteux, qui ne leur sont pas destinés en priorité ».
En revanche, la colocation classique, elle, explose. Pour les étudiants, ce n'est pas un choix, c'est souvent une nécessité. « Face à la contrainte actuelle, les solutions imaginées reposent souvent sur la colocation. Ce n'est pas de la cohabitation subie, mais un choix pragmatique, devenu courant », analyse Samuel Depraz.
Dans la région francilienne notamment, la colocation prend de l'ampleur. « On voit désormais beaucoup de jeunes de 30 ans qui vivent encore en colocation, ce qui n'était pas le cas pour la génération de leurs parents. C'est une conséquence directe de la hausse des loyers ». Selon les spécialistes, certains opérateurs commencent à réfléchir à des formes encadrées de colocation : des résidences mixtes, avec des espaces communs, mais avec des loyers modérés.
Autre piste évoquée : celle de la réhabilitation et de la transformation de bâtiments existants. Selon eux, une politique massive de conversion (surélévations, divisions de grands appartements, réaffectations d'immeubles…) pourrait réduire le besoin de construction neuve. « On produirait moins de neuf, mais on transformerait davantage l'existant », résume Samuel Depraz.
Les intervenants sont unanimes : à court terme, la situation ne va pas s'améliorer. « Même si les chiffres de production se redressent un peu, les effets sur le marché ne se feront pas sentir avant plusieurs années », prévient le directeur de recherche de l’ESPI. Le vieillissement de la population continuera de peser sur la disponibilité des logements. « Les baby-boomers ont désormais 70/80 ans et l'espérance de vie continue d'augmenter. Cela signifie que si la pression s'atténue un peu à l'entrée de la chaîne du logement, elle continue de s'aggraver à la sortie », explique-t-il.
Pour Jean-Luc Berho, le message est clair : « Le logement des jeunes concentre les effets de toutes les tensions économiques, territoriales et générationnelles ». Ce dernier souhaite que la question du logement soit traitée comme une priorité nationale, au même titre que l'éducation ou la santé. « Nous avons remis un rapport au Premier ministre qui ne prétend pas avoir toutes les réponses, qui montre que l'accès au logement conditionne l'accès à la formation, à l'emploi, à la mobilité, à l'avenir. Et qu'en le négligeant, on prend le risque de laisser une génération entière sur le bord du chemin », conclut-il.






