« Le management de demain devra se faire avec une responsabilité sociale et environnementale accrue ». Tels étaient les principales réflexions abordées lors du webinaire « France 2030 : Quel rôle pour les Grandes écoles dans ce nouvel élan et dans un monde en mutations » de la Conférence des Grandes écoles (CGE), association des écoles d’ingénieurs, de management et d’autres nombreuses écoles françaises, organisé le 25 novembre 2021.
Pendant plusieurs heures, différents intervenants dont la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Frédérique Vidal et des acteurs de l’enseignement supérieur ont échangé avec Laurent Champaney, directeur de la CGE, sur des sujets riches et variés : la transition écologique des établissements, la question des territoires, le développement des formations, les innovations ou encore l’essor du numérique.
Dans un monde qui ne cesse d’évoluer, les entreprises, les établissements d’enseignement supérieur et ses acteurs, les collectivités et les associations se concertent ensemble pour répondre à tous les enjeux de demain.
Laurent Champaney, directeur de la Conférence des Grandes Écoles (CGE)
Frédérique Vidal : « Quels sont les métiers de demain ? »
La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal ouvre le bal par une question : « Quels sont les métiers de demain » ? en évoquant les enjeux de la France d’ici à 2030. Pour elle, la recherche, l’innovation et les connaissances actuelles vont dessiner le monde de demain. Il faut donc se doter, dès aujourd’hui, de tous les outils nécessaires pour former les jeunes générations aux métiers futurs. Selon le ministère, un budget de 2,5 milliards d’euros est consacré à la façon de former aux métiers de demain.
« Il va y avoir une place très importante du numérique ou de l’intelligence artificielle, mais aussi dans les sciences humaines et sociales. La capacité à manager différemment, les capacités à travailler » Frédérique Vidal
Interrogée sur la place des grandes écoles sur France 2030, Frédérique Vidal explique que les liens entre écoles et entreprises doivent être renforcés. Elle parle d’”adéquationnisme”, c’est-à-dire le fait d’établir un rapport adéquat entre le diplôme préparé et le poste recherché dans la vie active. En somme, les diplômes et les expériences passées d’un candidat doivent être corrélés au poste à pourvoir en entreprise. « Il faut non seulement regarder de près ce dont les entreprises ont besoin aujourd’hui, mais vraiment de quoi elles auront aussi besoin dans 5 ans, dans 10 ans. Et ça, ça se travaille ».
La question du développement économique, par ailleurs, a été aussi évoquée par la ministre. Ce développement se construit dans les territoires. « Nous allons avoir besoin de compétences en fonction de la nature de ces territoires » précise-t-elle ; car « chaque région française a besoin de compétences particulières ». Parmi ces compétences, l’usage des data, l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies devront être davantage intégrés.
Du côté des étudiants et des écoles, elle suggère de donner un corpus minimum de connaissances à tous les jeunes. Parmi celles-ci, le « changement climatique et le développement durable » sont des thématiques essentielles que les étudiants doivent acquérir. Pour les entreprises, la question de l’innovation doit résulter dans les grands groupes comme les PMI et les start-ups. « Comment on offre aux PME-PMI, au travers de stages d’étudiants, la capacité à résoudre une question, un problème de management, un verrou technologique ? », questionne-t-elle.
Enfin, Frédérique Vidal souhaite soutenir le développement de l’apprentissage dans les grandes écoles qui est, pour elle, « une forme de ressources ».
Les évolutions de la transition écologique
L’environnement et la transition écologique sont des sujets que l’on retrouve sur toutes les lèvres. À l’heure où la planète s’essoufle et où le GIEC tire la sonnette d’alarme, comment façonner et contribuer à cette transition écologique. Lors de cette table ronde étaient présents divers intervenants de grandes écoles françaises :
- Carole Deumié, directrice de l’école d’ingénieurs Centrale de Marseille
- Christophe Germain, directeur général d’Audencia
- Caroline Renoux, fondatrice et CEO du cabinet de recrutement Birdeo
- Nicolas Graves, membre actif du collectif "Pour un réveil écologique"
Confrontés aux défis sur les questions écologiques, les invités se sont questionnés sur l’évolution des grandes écoles et des entreprises sur la transition écologique.
De gauche à droite : Christophe Germain, directeur général d'Audencia Business School, Caroline Renoux, fondatrice et CEO du cabinet de recrutement Birdeo et Gilbert Azoulay, Directeur général de News Tank Education, agences d'informations spécialisées dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Des compétences transverses pour les étudiants
L’école Centrale de Marseille a déjà amorcé des démarches en ce sens, selon sa directrice. « On est conscients que le monde évolue. On souhaite former de futurs cadres qui ont une formation scientifique solide, mais qui sont également cultivés, conscients des impacts », affirme-t-elle. Carole Deumié a développé, pour son école d’ingénieurs, 5 compétences identitaires pour les étudiants : l’innovation, la complexité d’approche des systèmes, la direction de programmes, le management éthique et responsable et la vision et stratégies. « Elles sont transverses et portent les dimensions de développement durable », précise-t-elle.
Christophe Germain explique quant à lui avoir créé une école “transition écologique”, avec un tout nouveau projet intitulé Climatsub Business, en partenariat avec The Shift Project, un think tank engagé dans l’économie sans contrainte carbone. Il s’agit de « revoir l’ensemble de nos maquettes de cours en profondeur de façon à ce que les étudiants puissent disposer d’un cadre théorique de compétences, en lien avec la transition économique et sociale », explique-t-il.
Des jeunes intéressés par l’environnement, sur fond de lacunes
À travers cet échange, tous les acteurs s’accordent à dire que les jeunes sont intéressés par le climat. Et les chiffres le prouvent. En effet, selon un sondage Ipsos Collège de France, 4 jeunes sur 5 de 18 à 35 ans sont intéressés par le climat et font confiance à la science. Mais selon Nicolas Graves, les jeunes restent limités sur ces connaissances. « 46 % des jeunes ne connaissent pas bien le terme « gaz à effet de serre » et 55 % d’entre eux le terme « empreinte écologique », souligne-t-il. « C’est un enjeu très fort pour demain on veut aller vers une société différente, mais on est à peine capable d’en parler ».
La CEO du cabinet de recrutement parle de « pénurie de compétences », avec des étudiants qui ont envie d’aller vers ces sujets, mais qui n’ont pas les qualifications nécessaires.« Aujourd’hui, un jeune diplômé qui sort d’une école en étant spécialisé en finance ou marketing et qui n’ait pas la capacité de prendre en compte les enjeux de carbone, biodiversité ou d’inclusion, c’est l’emmener au casse-pipe », explique-t-elle. Pour Caroline Renoux, les écoles doivent prendre en compte ces lacunes et se soucier davantage de « l’employabilité » des étudiants et des jeunes diplômés.
S’adapter rapidement et répondre aux urgences
Concernant les mesures de transition écologiques, les écoles, ses acteurs, comme les entreprises et les collectivités doivent s’adapter rapidement aux nouveaux enjeux et répondre aux urgences, sans pour autant tomber dans le « greenwashing ». Carole Deumié évoque les modules sur les thématiques du développement durable entreprises à Centrale Marseille. « On sensibilise avec la fresque du climat, mais on enrichit avec des séquences pédagogiques, des enseignements managériaux, l’agilité comportementale, le questionnement éthique, etc. ». Toutefois, la directrice alerte sur un point : « un système de formation, ça ne peut pas être fait rapidement ». Il faut trouver un équilibre entre « aller vite pour répondre à l’urgence, mais rester solide », car certains sujets « nécessitent une maturation, de l’impression », ce qui prend du temps.
Même écho du côté de Christophe Germain, qui parle de « capacité d’adaptation et d’agilité ». À Audencia Business School, 60 % des recherches produites par le corps professoral permanent sont liées à la transition écologique et sociale, selon son directeur. « Nous savons nous adapter aux évolutions de l’environnement et aux contingences qui s’exercent sur nous », défend-il, avant d’ajouter que même si les jeunes diplômés de l’école de commerce s’insèrent facilement dans la vie active, Audiencia doit redoubler d’efforts « pour ce que cela continue dans le futur ».
Innovation et territoires : la revanche des villes moyennes
Outre le climat, la deuxième partie du webinaire était focalisé sur les territoires, les grandes écoles et les entreprises avec Patricia Durin, vice-présidente du Grand Reims déléguée dans l’enseignement supérieur, Olivier Faron, administrateur général du Cnam, Séverine Nomdedeu, directrice de la formation initiale de Y SCHOOLS; école de commerce de Troyes et Emma Rouvet, vice-présidente Des Territoires aux Grandes Écoles.
En effet, la directrice de Y Schools débute par un cas concret : la commune de Troyes. C’est une ville moyenne, historiquement connue pour son industrie du textile, mais qui « apportait que très peu de place » aux établissements du supérieur. « Les collectivités se sont vraiment mobilisées pour faire venir l’enseignement supérieur à Troyes, en étant convaincu que c’était ce qui allait apporter l’attractivité économique au territoire », raconte-t-elle.
Patricia Durin défend de son côté le Grand Reims qui est une ville étudiante importante. En effet, 1 habitant sur 6 est étudiant dans la communauté urbaine, ce qui n’est pas rien. La vice-présidente déléguée à l’enseignement supérieur a ainsi dressé un bilan des territoires : « Nous avons défini un projet de territoire qui fait le bilan de nos atouts et nos faiblesses et il en est ressorti que nous sommes un territoire de bioéconomie et de biotechnologie » explique-t-elle. « C’est un élément d’attractivité de notre territoire ».
De son côté, Emma Rouvet travaille avec des jeunes qui résident dans des territoires ruraux et sa mission est d’accompagner ces personnes vers les grandes écoles. « Ce qu’on remarque, c’est qu’il y a des territoires qu’on ne connaît pas du tout qui peuvent paraître moins attractifs, mais quand on en est issu généralement, on a quand même envie d’y retourner et surtout, on en connaît la richesse ». Elle souhaite donc aider les étudiants ruraux à intégrer de grandes écoles et les inciter à y retourner sur leurs territoires d’origine pour en renforcer l’attractivité.
Un argument soutenu par Olivier Faron, qui reste toutefois plus prudent sur la question. « On voit effectivement un mouvement de fuite quand un jeune va se former, soit dans une très grande métropole, soit à Paris, il a du mal à revenir dans le territoire » tout en ayant dans le même temps, l’émergence d’un « nouveau phénomène avec le télétravail de cadres ou des responsables qui vont aller dans les territoires ». Ce qu’il faut en tirer, selon lui, c’est que « les publics sont en train de se modifier, il faut prendre en compte » les attentes de celui-ci. « Pour que les écoles viennent, il faut qu’on les accompagne, qu’on les aide », rétorque Séverine Nomdedeu.
« La France périphérique a pris de l’importance ces dernières années, on a arrêté d’être totalement focalisé sur les métropoles et un regard nouveau se pose sur la jeunesse de ces territoires » Séverine Nomdedeu
« Nous avons un rôle pivot » explique Patricia Durin, celui de « mettre en lien sur nos territoires » l’enseignement supérieur et la recherche d’un côté et les entreprises et le développement économique de l’autre. La déléguée à l’enseignement supérieur du grand Reims rappelle aussi que de plus en plus d’étudiants souhaitent créer leur entreprise et qu’ils en ont l’idée dès l’école. « Il faut accompagner les start-up, créer des pouponnières, promouvoir cet entrepreneuriat et le conserver. Les étudiants ont des projets qui restent sur notre territoire ».
Le rôle des collectivités est donc de garder ces jeunes dans le territoire, en « finançant certaines opérations » en lien avec la transition. « Ce qu’on constate, c’est que tout le monde travaille main dans la main, les grandes écoles, comme les universités », conclut-elle.