« Les enfants ne sont pas comme les poireaux, ils ne poussent pas tous à la même vitesse et vouloir sélectionner précocement, sans qu’aient mûri l’esprit et les attentes, je pense que c’est une erreur, en tout cas une faiblesse. » C’est avec cette phrase que François Bayrou a introduit le sujet Parcoursup dans son discours de politique générale, mardi 14 janvier.
En substance, le Premier ministre explique que les jeunes ne sont pas assez préparés à faire un choix marquant pour leur vie académique, mais aussi professionnelle. Il évoque également la mise en place d’une année « d’articulation », entre le bac et les études supérieures. Un dispositif qui existe en réalité déjà plus ou moins, sous la forme d’un diplôme d'État.
À quoi pourrait ressembler cette année de transition ? Les élèves s’orientent-ils beaucoup trop tôt ? Diplomeo a tenté de décrypter les propos du Premier ministre et d’imaginer les contours de ce cursus unique.
Les élèves s’orientent-ils trop tôt au lycée ?
Beaucoup critiquent le stress causé par Parcoursup. Certains, à l’image de François Bayrou, jugent que les jeunes de 17 ou 18 ans ne sont pas assez mûrs pour forger ce choix d’orientation qui les enferme dans une spécialisation. Pourtant, en se penchant d’un peu plus près sur le parcours académique des jeunes en France, il est facile de s’apercevoir qu’ils se spécialisent déjà… dès le collège !
Entre bac pro, et bac général et technologique, il y a un gouffre. Le premier forme les lycéens dans une discipline précise, comme la boulangerie, les cultures maritimes, la cybersécurité ou la coiffure. Il vise aussi une employabilité rapide, qui répond aux attentes de nombreux élèves qui choisissent cette voie. Une décision cruciale que font des élèves à seulement 15 ans et qui peut restreindre leurs opportunités. Certains font d'ailleurs le choix de cette filière à contre-coeur, poussés vers le bac pro par leurs parents ou les professeurs.
En réalité, l’orientation post-bac se dessine pas durant l’année de terminale, mais bien en amont :
- En 3e, à 15 ans, les élèves choisissent donc la voie professionnelle ou générale et technologique
- En 2nde, à 16 ans, les lycéens doivent faire le choix entre la filière générale et technologique, s’enfermant un peu plus dans un univers spécifique
- Toujours en 2nde, à 16 ans, les élèves ont pour obligation de choisir 3 enseignements de spécialité, fermant la porte à certains cursus, comme les sciences pour ceux qui font le choix de matières littéraires
- En fin de première, à 17 ans, les lycéens doivent abandonner une spécialisation, fermant davantage l'accès à davantage de cursus post-bac
- En terminale, à 18 ans, c’est l’heure des choix sur Parcoursup, tout en ayant déjà condamné l’accès à certaines formations durant trois ans
En réalité, il semblerait que l'orientation des lycéens ne se fasse pas uniquement à 18 ans. C'est la conséquence de décisions qu’ils doivent prendre (ou sont parfois imposées) tout au long de leurs jeunes années. Dès lors, la nécessité de renforcer leurs connaissances sur le sujet devient cruciale.
Une année de plus pour pallier le manque d'accompagnement ?
Cette année d’études supplémentaire aurait donc pour but d’aider les étudiants à faire des choix plus éclairés en matière d’orientation. Pourtant, cette mission est déjà au cœur des prérogatives des conseillers d’orientation qui peuplent une partie des lycées français.
Au sein de l’Hexagone, on compte 5 300 professionnels pour 3 750 lycées. La chaîne TF1 rapportait qu’en moyenne, on comptait un conseiller d’orientation pour 1 100 élèves. Pour autant, tous ne sont pas en terminale et certains sont déjà fixés sur leurs aspirations post-bac.
Face au nombre important de lycéens qui sollicitent ces experts de l’orientation, les professeurs ont été formés et plusieurs sessions d’informations sont généralement organisées dans l’année. D’après une enquête que nous avons réalisée, 61% des 16-25 interrogés affirment avoir été accompagnés sur le sujet durant leur année de terminale. Un chiffre qui est plus élevé du côté des élèves qui viennent tout juste de quitter le lycée, puisque 78% des sondés de 18 ans ont profité de ces dispositifs.
Orientation : Comment les lycéens construisent-ils leur avenir ?
Toutefois, un tiers d’entre eux attribue une note inférieure ou égale à 3/10, au moment de noter leur établissement en matière d'accompagnement sur le sujet de l'orientation. Au total, ce sont 52% des personnes interrogées qui donnent la moyenne ou moins.
D’après une enquête de Jexplore et d’Opinion Way, près d’un étudiant sur 2 affirme avoir été déçu de ses décisions en matière d’orientation. Est-ce la cause d'un manque d'accompagnement personnalisé ? Difficile de répondre tant chaque cas est unique. Toutefois, difficile d'imaginer qu'un conseiller d'orientation puisse fournir une aide sur-mesure à tous les élèves d'un même établissement.
En France, de nombreux dispositifs permettent de changer de voie lorsque les étudiants ne sont pas satisfaits de leur cursus actuel. Il est possible d'opter pour une réorientation en milieu de première année, que ce soit en licence ou dans une école privée, via les rentrées décalées. En 2023, ils étaient 20% à opter pour cette solution. En outre, Parcoursup accueille également les déçus de l'année précédente et qui souhaitent se réorienter à l'issue de leur L1.
Année d’articulation pour trouver sa voie : un dispositif qui existe déjà
Ceux qui sont perdus dans leur orientation peuvent trouver une boussole dans le diplôme universitaire « Parcours pour réussir et s’orienter » - DE PaRéO, pour les intimes. Cette formation d’un an a justement pour seul et unique but de permettre aux lycéens qui n’ont pas d’idée précise d’explorer plusieurs disciplines.
Cette année spéciale ne confère pas un diplôme qui permet l’insertion professionnelle et s’effectue uniquement sur la base du volontariat. Pour autant, elle donne toutes les clés pour une orientation post-bac réussie. Au programme :
- Des sessions de coaching pour identifier les domaines qui plaisent aux étudiants ou ce dans quoi ils excellent
- Des cours méthodologiques sur la pédagogie à l’université
- Des spécialisations permettant d’explorer de larges secteurs comme la santé, le tourisme, les lettres ou les sciences
- Deux stages pour découvrir les métiers qu’il est possible d’exercer à l’issue de formations plus spécifiques comme les licences, les bachelors ou les masters
Ce programme permet de découvrir différents univers dans lesquels il est possible de se former à l’université. Seul bémol : très peu de lycéens connaissent ce cursus et certains optent plutôt pour des choix par défaut, lorsqu’ils se retrouvent face à Parcoursup. D'autres s'orientent aussi vers des filières plus généralistes, car ils ne savent pas encore vers quel secteur se spécialiser.
Comment devrait s’articuler l’année d’articulation ?
Si peu d’éléments sont connus sur ce projet de François Bayrou, il est possible, à partir de ce qui existe déjà, d’imaginer les contours de ce cursus spécifique. Pour l’heure, aucun élément ne permet de dire s’il sera obligatoire ou non.
Une année pour découvrir des filières
Pour savoir quels sont les cursus susceptibles d’intéresser les étudiants, il faut mettre les mains dans le cambouis. Les formations proposées dans le supérieur sont bien éloignées de ce que l’on peut retrouver dans le secondaire, tant en termes de pédagogie que de contenu des cours.
Découvrir en détail les matières, se plonger dans des cours magistraux, explorer les travaux pratiques… Autant d’éléments qui permettent de savoir concrètement à quoi s’attendre une fois en études et qui peuvent forger une opinion en matière d’orientation. S’il est difficile d’explorer les cours de chaque cursus universitaire, un modèle comme celui du DE PaRéO permettrait de toucher du doigt les grands domaines couverts par les licences : lettres, sciences, santé, etc.
Une année pour découvrir des métiers
D’après une enquête que nous avons menée fin 2024, les étudiants optent pour une spécialisation précise en fonction de l’intérêt pour un secteur (74%), mais aussi des débouchés métiers (72%). Permettre de découvrir les professions qu’il est possible d’exercer à l’issue d’un cursus en particulier est donc essentiel si l’objectif de cette année d’articulation est de donner les clés pour une orientation réussie.
Cela peut prendre plusieurs formes :
- Des stages devraient donc être obligatoires, comme au sein du DE PaRéO, en incitant les étudiants à découvrir deux métiers et secteurs complètement différents
- Des rencontres avec des professionnels et entreprises sous forme de masterclasses et de forums thématiques doivent aussi venir ponctuer l’année
- La présence de professionnels d’une filière dans le cadre du coaching en matière d’orientation est incontournable pour permettre aux étudiants de construire leurs candidatures autour d’aspirations pro concrètes
- La rédaction d'un rapport autour d'un projet professionnel concret devrait aussi être obligatoire - comme c'est le cas dans certaines licences -, pour pousser les étudiants à mieux identifier les formations qui répondent à leurs objectifs pro et académiques.
Une année pour se découvrir
L’aspect découverte personnelle n'est pas assez adressé au sein DE PaRéO. In fine, le choix se fait en fonction des aspirations personnelles, de ses goûts, de ses envies, de ses passions, comme le prouve notre enquête. 74% des jeunes se dirigent vers une filière avant tout car ils sont passionnés par cet univers.
Savoir ce qui se cache derrière des intitulés de formations est important, mais identifier ce dans quoi l’étudiant est bon et ce qu’il aime faire, ne peut être exploré qu’en le faisant sortir de la salle de classe. Pousser les étudiants à s’engager dans une asso, organiser des visites dans des musées ou visionner des documentaires, amener des élèves sur un terrain de foot pour découvrir tous les métiers qui gravitent autour de cette discipline qui ne se limite pas aux sportifs paraît donc nécessaire.
Une mesure impossible à mettre en place ?
En 2024, on comptait 684 200 bacheliers. La même année, les établissements proposant le DE PaRéO avaient ouvert environ 1 400 places, pour 6 100 candidats. Dès lors, si une année de transition doit être mise en place, sous un format proche de ce à quoi ressemble le DE PaRéO, il faudrait multiplier par 600 les effectifs humains déployés pour accompagner ces étudiants.
Cette mesure aurait plusieurs conséquences :
- Les établissements dépendant des frais de scolarité pour financer leur budget fonctionneraient à vide la première année de la mise en place de la mesure
- Les universités devraient accueillir, en plus de leurs étudiants, un demi-million de nouveaux élèves, ce qui pourrait provoquer une surpopulation des promotions
- Ces mêmes promotions trop denses empêcheraient un réel suivi personnalisé, rendant caduc l’objectif de cette année d’articulation
- L’État, dont le budget est déjà déficitaire, devrait donc financer une année d’études supplémentaires à plus de 600 000 élèves
Ainsi, malgré des idées intéressantes, il semblerait complexe, aujourd'hui surtout, de mettre en place une telle mesure. A contrario, un renforcement de l’accompagnement des élèves tout au long de leurs études, de la 3e à la terminale, pourrait être une solution préférable, éventuellement moins coûteuse et plus facile à mettre en place.