Ce soir-là, ils sont cinq à assister au cours. Le prestige des locaux de l’École Normale supérieure (ENS), rue d’Ulm, rompt avec la petite salle, qui tous les jours, accueille des réfugiés. Pendant deux heures, ils assistent à des cours de français, donnés par des bénévoles de l’école. Répartis en quatre groupes de niveau, leur but est d’apprendre le français, pour reprendre des études en France. Seule condition : être diplômé d’un niveau bac+2 dans leur pays d’origine. Une étude publiée en 2015 par le ministère de l’Intérieur note que seuls 34 % des réfugiés sans diplôme sont à l’aise en français, contre 64 % des titulaires du baccalauréat. Yared*, 27 ans, vient d’Éthiopie, où il a étudié la littérature anglaise. Aujourd’hui, il voudrait suivre des études dans l’économie, pour trouver un emploi. « N’importe lequel, tant que je travaille » affirme-t-il.
Aux arbres citoyens
Tous les mardis soir, Shirine et Guillaume, deux normaliens, dispensent les cours. Au programme : COD et COI, participe passé et partitif. Des règles de grammaire simples, mais parfois difficiles à expliquer : « pour nous, ce sont des notions tellement intuitives, qu’il nous arrive de nous emmêler les pinceaux », commente Shirine, 21 ans. Une fois par semaine, les deux professeurs suivent des cours de FLE (Français en Langue Étrangère), encadrés par un enseignant spécialisé. « On nous donne du contenu pédagogique et quelques astuces pour dispenser les cours », ajoute la jeune normalienne.
La progression est palpable, ils apprennent vite. Yared est très actif, Kamal*, qui vient du Soudan, pêche parfois sur l’application des règles de grammaire. Qu’importe, les deux professeurs s’efforcent de l’aider, « il vaut mieux répéter », rassure Shirine. Les normaliens abordent aussi des thèmes transversaux, ici l’écologie, avec la chanson de Yannick Noah, « Aux arbres citoyens ».
« Pour changer les choses »
L’anglais reste nécessaire pour dialoguer. Nadheer* se confie : « avant de fuir le Yémen, j’ai suivi des études de droit et je suis devenu officier de police ». Après un long périple, il va mieux : « en France, je me sens en sécurité », lâche-t-il dans un soupir de soulagement. Là-bas, il a reçu des éclats d’obus. Aujourd’hui, son œil continue de le faire souffrir malgré huit opérations. Recherché par les milices yéménites, sa présence en France doit rester confidentielle, notamment pour protéger sa famille restée au pays. Désormais il pense à l’avenir et ses cours de français sont « un bon apprentissage » pour démarrer une nouvelle vie.
À la fin du cours, Kamal prend une photo. Dans son pays, au Soudan, une grève silencieuse contre le président très contesté, Salva Kiir, s’est déroulée du 27 au 29 novembre. Les habitants ont été appelés à rester chez eux pour protester contre la hausse des inégalités dans le pays. Pour les soutenir à leur mesure, en arabe, en anglais et en français, étudiants et professeurs tiennent une pancarte, avec le hashtag « Soudan, désobéissance civile, 27 novembre ». À la dernière minute, Kamal ajoute une phrase en français : « Pour changer les choses », en référence à la chanson de Yannick Noah, qu’il vient de découvrir.
* Les prénoms ont été modifiés.