L’équation semble difficile à résoudre, mais occupe l’esprit de toute une génération de futurs professionnels. Alors que le secteur agricole est frappé de plein fouet par la crise climatique et énergétique, mais aussi par un bouleversement politique, les pratiques agricoles en place depuis des décennies sont remises en cause.
Dans ce contexte, de plus en plus d’agriculteurs et d’ingénieurs agronomes se tournent vers de nouvelles voies de production, plus respectueuses de l’environnement. Une petite musique qui retentit également, depuis plusieurs années, dans le supérieur, à l’image du discours choc en avril 2022 des "bifurqueurs". Ces diplômés d’AgroParisTech dénonçaient un enseignement en rupture avec l’urgence climatique.
Si cette prise de position a été critiquéevoire décrédibilisée, elle traduit un besoin plus global chez les jeunes ingénieurs agronomes de changements substantiels. Face à ces défis, les formations s’adaptent et font évoluer leurs cursus. C’est le cas d’AgroParisTech, dont Diplomeo a rencontré l’équipe pédagogique à l’occasion du Salon international de l’agriculture, en février dernier.
"Pousser les étudiants à réfléchir à 360 degrés"
L’agronomie et l’agriculture regroupant des métiers "qui lient le vivant à des systèmes de production", ces secteurs sont particulièrement touchés par le changement climatique, rappelle Philippe Lescoat, enseignant-chercheur à AgroParisTech. Une approche systémique qui complexifie les problèmes en rapport avec le climat.
Pour autant, ceux-ci ne sont pas impossibles à solutionner : face aux sécheresses à répétition ou à l’érosion des sols, "il faut des compétences", estime Philippe Lescoat. "Il faut se former via des études de cas, où l’on demande à nos étudiants de réfléchir à 360 degrés", ajoute-t-il.
"Ce n’est pas la discipline qui est intéressante, mais plutôt notre capacité à mobiliser les bons outils pour analyser", Philippe Lescoat, enseignant à AgroParisTech
"Cela passe par une formation diversifiée, avec des cas pratiques, sur le terrain, à la rencontre de professionnels ou en stage", illustre l’expert, ajoutant qu’à "chaque fois, les jeunes sont mis en difficulté". Une confrontation nécessaire aux réalités pour conférer "une variété d’approches et une capacité d’analyse de la complexité des systèmes" aux étudiants. "Ce n’est pas la discipline qui est intéressante, mais plutôt notre capacité à mobiliser les bons outils pour analyser", insiste-t-il.
"On ne va pas s’en sortir avec un seul type d’agriculture"
"Aujourd’hui, l’agriculture doit relever de nouveaux défis en lien avec la transition environnementale, énergétique mais aussi numérique", observe Laurent Buisson. Le directeur général d’AgroParisTech, qui assure "partager les inquiétudes des bifurqueurs", mais qui trouve "leur regard sur l’école très daté", croit à une réforme de l’enseignement pour faire bouger les lignes.
Cela passe, selon lui, par l’apprentissage de solutions techniques, tout en décloisonnant les thématiques de l’environnement et de la production agricole, jusqu’alors dispensées dans des cursus distincts. En parallèle, l’école propose de donner un aperçu de la réalité du terrain, avec par exemple la ferme de Grignon, dans les Yvelines : un laboratoire où les chercheurs expérimentent depuis 2006 des productions plus vertes.
"Les étudiants qui sont passés par un BTS ou un DUT ont eu un enseignement plus pratique que ceux issus de classe prépa ou de licence. Souvent, ils ont une meilleure perception des métiers de la production", Laurent Buisson, directeur général d’AgroParisTech
AgroParisTech souhaite en outre continuer à diversifier ses recrutements, en augmentant la part des élèves issus de BTS ou DUT (BUT aujourd’hui), qui ont des profils "très intéressants", souligne Laurent Buisson. "Ces étudiants ont eu un enseignement plus pratique que ceux issus de classe prépa ou de licence. Souvent, ils ont une meilleure perception des métiers de la production", explique le directeur général de l’école.
"On réfléchit sérieusement à faire une place beaucoup plus grande, dès la première année, à l’exposition aux métiers du secteur, à la pratique", ajoute le directeur. "Ce que l’on veut, simplement, c’est que nos étudiants soient face au concret, au vivant, au terrain, à la réalité", insiste-t-il, persuadé que le meilleur moyen de trouver des solutions est de multiplier les expériences à tous les niveaux, en agriculture bio, traditionnelle ou de conservation. "On ne va pas s’en sortir avec un seul type d’agriculture : chacun doit trouver la solution adaptée à sa situation", conclut Laurent Buisson.
Nouvelles compétences et nouveaux métiers
Cette philosophie d’enseignement transverse et pratique résonne avec l’évolution des métiers accessibles à la sortie d'AgroParisTech. "De nouveaux métiers émergent et certains évoluent", constate Fabienne Maroille, chargée de l’observatoire de l’emploi pour AgroParisTech.
"Dans l’agriculture, le métier de conseiller agricole ne va plus préconiser des formules toutes faites, mais plutôt faire du sur-mesure ; il devient un consultant de haut niveau", Fabienne Maroille, en charge de l'observatoire de l'emploi pour AgroParisTech
"Dans l’agriculture, le métier de conseiller agricole ne va plus préconiser des formules toutes faites, mais plutôt faire du sur-mesure ; il devient un consultant de haut niveau", illustre-t-elle. "De plus en plus d’agronomes ont des doublesdiplômes, dans le numérique ou l’énergie par exemple, afin d’être capables de maîtriser les nouveaux outils des exploitations agricoles", glisse-t-elle. "Face aux transitions, les ingénieurs agronomes vont continuer à évoluer, avec un besoin toujours plus grand en compétences", résume Laurent Buisson.
Si les débouchés d’AgroParisTech sont "extrêmement variés", selon Fabienne Maroille, ils ont un point commun : l’attachement aux sciences du vivant. Que ce soit en conseil dans l’agroalimentaire, en recherche, dans des bureaux d’études ou encore au sein d'organisations professionnelles agricoles, "ces métiers doivent avoir du sens pour les étudiants", souligne Fabienne Maroille. Une quête de sens qui pourrait faire changer durablement les lignes de la production agricole et de l’agronomie ?