Un secteur en crise. Alors que plus d’un tiers des agriculteurs partira à la retraite dans les dix prochaines années, le renouvellement des effectifs préoccupe au sein de la profession et des pouvoirs publics. Car ce métier du vivant, réputé difficile avec de larges amplitudes horaires, de faibles salaires et soumis à des normes contraignantes, attire peu.
Une situation mise en lumière ces dernières semaines par la mobilisation d’ampleur des agriculteurs, qui ont aussi exprimé leur colère lors de l’ouverture du Salon de l’agriculture, ce samedi 24 février. À ce malaise s’ajoute le défi du dérèglement climatique et son lot d’incertitudes qui n’épargnent aucun secteur de l’agriculture.
Autant d’éléments avec lesquels la future génération d’agriculteurs va devoir composer pour mener à bien ses activités. Qui sont les agriculteurs de demain ? De quoi rêvent-ils ? Quelles sont leurs craintes ? On fait le point sur ce métier-passion mal connu du grand public.
“On ne fait jamais la même chose d’un jour à l’autre”
Si les contraintes horaires et les faibles revenus des agriculteurs peuvent “faire peur”, reconnaît Emeline Grasset, elle a choisi sa voie en connaissance de cause, pour suivre sa passion. “J’aime le contact avec les animaux, ils m’apaisent”, confie l’étudiante en deuxième année de BTSA Production du vivant à l’École supérieure des agricultures (ESA). Cette petite-fille d’agriculteurs a eu le déclic pendant ses études en hôtellerie-restauration, en prenant un petit boulot le week-end dans une exploitation de vaches laitières.
“On ne fait jamais la même chose d’un jour à l’autre, c’est ce que j’apprécie”, renchérit Louis Richard au micro de Diplomeo. L’étudiant en deuxième année de BTS Analyse conduite et stratégie de l’entreprise agricole à l’ESA préfère de loin la “science incertaine du vivant” à la “science certaine des mathématiques” qu’il étudiait au lycée. Fils d’exploitant agricole, Louis a passé un bac technique de l’industrie robotique avant de s’orienter vers l’agriculture, sa passion première.
La gestion de l’entreprise, élément clé pour tenir le cap
Un amour pour l’agriculture sans lequel “on ne tient pas”, prévient Emeline. Mais pour tenir le cap, il faut aussi être polyvalent et fin gestionnaire d’entreprise. “C’est là toute la difficulté du métier”, confirme Samuel Clochard, enseignant en agronomie production végétale et responsable du programme des BTS à l’ESA. “Il faut être bon technicien, mais aussi bon gestionnaire et savoir raisonner ses investissements avec une bonne stratégie”, poursuit-il.
C’est d’ailleurs en suivant une méthode “raisonnée” que Louis espère améliorer ses conditions de travail et celles de ses futurs collaborateurs, s’il lance son exploitation en polyculture. Le jeune homme compte notamment sur les nouvellestechnologies, comme les assistances logiciel, pour gérer au mieux les troupeaux, faire de l’agriculture de précision dans les champs, mais aussi optimiser le temps de travail des collaborateurs.
Cette gestion de la production agricole en fonction du temps de travail, “longtemps négligée par les générations ultérieures”, selon Louis, constitue l’un des “principaux défis d’un agriculteur”, affirme-t-il.
Le climat au coeur des incertitudes
Un autre défi de taille occupe les esprits des futurs agriculteurs : celui du dérèglement climatique, que le milieu agricole subit de plein fouet. “Que ce soit la sécheresse ou la pluie, les événements climatiques n’épargnent ni les cultures ni les élevages”, souligne Emeline. Face à cela, l’étudiante est favorable à l'alternative du bio, même si elle en regrette les limites. “J’aimerais changer les pratiques pour moins solliciter les sols, mais cette alternative est très contraignante niveau réglementation, d’autant que, derrière, le revenu ne suit pas forcément”, explique-t-elle.
“L’agriculture a un rôle-clé dans le stockage du carbone et dans la préservation de la biodiversité avec le maintien des haies”, Louis, 2e année de BTS Analyse conduite et stratégie de l’entreprise agricole à l’ESA
Pour Louis, l’agriculture a un impact plus positif que négatif sur l’environnement. Tout repose selon lui, sur une bonne gestion des parcelles et des troupeaux pour “minimiser son impact et être acteur des transitions écologiques”. “L’agriculture a un rôle-clé dans le stockage du carbone et dans la préservation de la biodiversité avec le maintien des haies”, rappelle-t-il. Des bénéfices “précieux” qui “évitent de transformer la France en une grande plaine”.
“La technique pour avoir une agriculture différente, adaptée au changement climatique est là”, estime Samuel Clochard. “On propose aux étudiants des systèmes plus résilients, qui permettent de passer le cap de certaines problématiquesclimatiques, mais aussi énergétiques”, assure-t-il. “Après, c’est aux jeunes de les appliquer”, ajoute l’enseignant. Pour cela, “il faut être flexible pour s’ouvrir aux nouvelles pistes d’évolution et ne pas rester bloqué sur celles de nos ancêtres qui n’étaient pas forcément les plus vertueuses”, renchérit Louis.
“Renvoyer une image beaucoup plus positive de l’agriculture”
Si Louis a hâte de se lancer dans “l’aventure du vivant” après son diplôme, le secteur n’en reste pas moins en crise. “Il faut plus d’agriculteurs” reconnaît Samuel Clochard. L'enseignant a bon espoir de “maintenir l’effectif” des professionnels, vu l’offre très importante de formations en France dans l’agriculture. Il reste optimiste : “il y a plein de jeunes qui veulent s’installer”, note-t-il. “Notre rôle est de bien les accompagner, notamment en termes d’investissement et de pilotage d’entreprise”.
Pour autant, “le métier souffre d’un problème de méconnaissance”, admet Samuel Clochard. “Il faut renvoyer une image beaucoup plus positive sur le métier d’agriculteur, notamment sur son rapport à la nature”, estime-t-il. “Ce qui est sûr, c’est qu’à force, on va changer de public, car on a de moins en moins d’enfants d’agriculteurs qui veulent reprendre le flambeau”.
Un constat partagé par Emeline qui regrette que les jeunes non-issus du milieu agricole soient si peu sensibilisés au secteur. “Ils pourraient apporter un regarddifférent de celui des enfants d’agriculteurs qui vont avoir tendance à répéter ce qu’ont fait leurs parents. La jeune femme aussi, affiche son optimisme : “si l’avenir peut paraître flou pour la profession, une chose est sure : quels que soient les soucis, il y aura toujours besoin d’agriculteurs”, conclue-t-elle.
Les agriculteurs en chiffres
Sources : Insee & Chambres d’agriculture |