Ils ne montent pas sur scène, mais sans eux, la mainstage reste éteinte. Lors des festivals estivaux, les bénévoles occupent une place essentielle et inhérente à chaque montée de décibels. Ils sont plus de 300 000 à prêter main-forte aux organisateurs dans les coulisses des 6000 événements qui ont lieu en France chaque année.
Si leur rôle est central dans la réussite d’un festival ou d’un événement culturel, les bénévoles participent aussi au rayonnement des territoires, à mi-chemin entre engagement pour ce travail et plaisir. Damien Chaney, enseignant-chercheur et professeur en marketing à l’EM Normandie, s’est intéressé de près à ce phénomène qui séduit de nombreux jeunes et étudiants lorsque les beaux jours arrivent.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous intéresser spécifiquement aux bénévoles de festivals ?
Ce qui m’a poussé à m’intéresser aux bénévoles de festivals, c’est avant tout une passion personnelle : j’ai toujours aimé la musique live, et en particulier les festivals. Il y a quelque chose d’unique dans l’énergie collective de ces événements, dans la manière dont le public, les artistes, et tous ceux qui travaillent en coulisses construisent une expérience partagée. Alors, quand est venu le moment de choisir un sujet de thèse de doctorat, je me suis dit que quitte à passer quatre ans sur un sujet, autant le faire sur quelque chose qui me motive vraiment.
Depuis, dans ma carrière d’enseignant chercheur, j’ai continué à travailler sur cette thématique. J’ai élargi mes recherches aux différentes facettes de ces événements, et notamment à l’engagement des bénévoles.
Damien Chaney, enseignant-chercheur à l'EM Normandie. © Droits réservés
Comment avez-vous mené cette étude et quels types de données ou de témoignages avez-vous analysés ?
C’est un travail que j'ai mené en collaboration avec deux collègues qui ont eux-mêmes été engagés en tant que bénévoles dans un festival Le Rock dans tous ses états, et ont vraiment vécu l’expérience de l’intérieur. Ça nous a permis d’avoir un double regard : à la fois celui du chercheur et celui du participant impliqué.
Dans ce cadre, ils ont réalisé plus de 20 entretiens qualitatifs avec des bénévoles, en leur donnant le temps de raconter leur expérience, leurs motivations, etc. On a ensuite analysé ces témoignages en profondeur, en cherchant à comprendre ce qui pousse les gens à s’engager, ce qui les fait revenir année après année et ce que cela change pour eux, personnellement et collectivement.
Dans votre étude, vous décrivez les bénévoles comme étant des « hyperfestivaliers » ? Quelle est votre définition de ce terme ?
On a utilisé ce terme pour les qualifier, car ils vivent le festival de manière beaucoup plus intense que les autres. Ce ne sont pas de simples spectateurs : ils sont là avant l’ouverture, pendant, et après. Ils voient les coulisses, ils contribuent à l’organisation, ils tissent des liens forts avec d’autres bénévoles, avec les équipes techniques, parfois même avec les artistes. Certes ils donnent de leur temps, mais ils reçoivent aussi beaucoup : une expérience unique, un sentiment de contribution, une vraie reconnaissance, et souvent, des souvenirs très marquants. Donc l’idée d’«hyperfestivaliers», c’est de dire qu’ils ne font pas que consommer le festival, ils le co-créent.
« On est à la frontière du travail et du loisir : les bénévoles accomplissent des tâches parfois très physiques ou exigeantes, mais dans un cadre festif, chaleureux »
Vous évoquez un équilibre entre travail et loisir : est-ce qu’on peut parler d’un « bénévolat d’expérience » ?
Oui, tout à fait. C’est une expression que je trouve très juste. Ce qui distingue les bénévoles de festival d’autres formes de bénévolat plus classiques, c’est précisément ce mélange entre engagement et plaisir. On est à la frontière du travail et du loisir : les bénévoles accomplissent des tâches parfois très physiques ou exigeantes, mais dans un cadre festif, chaleureux.
Ils ne sont pas là uniquement pour « rendre service » ou « donner du temps » : ils viennent aussi chercher quelque chose pour eux. Une ambiance, des rencontres. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de bénévoles reviennent année après année, voire s’engagent dans plusieurs festivals à la suite. Ce qui m’a marqué dans les entretiens qu’on a réalisés, c’est que les bénévoles parlent finalement assez peu de ce qu’ils font en termes techniques ou fonctionnels ; ils racontent des souvenirs, des fous rires, des moments de vie, un sentiment d’utilité ou de fierté.
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Quelles sont les principales motivations des étudiants lorsqu’ils souhaitent s’engager comme bénévoles en festival ? Cherchent-ils avant tout une expérience conviviale, un réseau ou une expérience sur leurs CV ?
Ce qui ressort clairement, c’est qu’il y a plein de motivations des étudiants à s’engager comme bénévoles en festival. D’ailleurs, il n’y a pas une seule bonne raison, mais souvent une combinaison de facteurs.
D’abord, il y a la recherche d’une expérience fun, un peu hors du temps. Le festival est un lieu très attractif pour les jeunes : c’est un espace de liberté, de plaisir, de musique, de rencontres. Le bénévolat permet d’y participer de l’intérieur, de vivre une expérience plus intense, plus riche que celle du simple spectateur. Il y a un vrai plaisir à être dans les coulisses, à faire partie d’une équipe, etc.
« Beaucoup d’étudiants voient le bénévolat comme une opportunité pour se constituer un réseau, rencontrer des gens, des professionnels de l’événementiel ou de la culture »
Ensuite, beaucoup d’étudiants voient aussi le bénévolat comme une opportunité pour se constituer un réseau, rencontrer des gens, des professionnels de l’événementiel ou de la culture.
Il y a aussi un volet plus stratégique. Certains s’engagent aussi pour acquérir de l’expérience, valorisable sur un CV. Surtout dans les filières liées à la culture, au spectacle, à la communication, au management… Mais ce qui est intéressant, c’est que ces dimensions ne s’opposent pas : ce sont souvent des motivations qui coexistent.
Selon vous, est-ce que les festivals sont-ils devenus pour les jeunes des lieux rares où l'on crée du lien social hors réseaux sociaux ?
Oui, je le pense. Ce sont des lieux rares où l’on peut encore créer du lien en dehors des réseaux sociaux. Ce n’est évidemment pas le seul type de lieu – je pense par exemple aux clubs de sport – mais le festival a cette force très particulière : il crée une sorte de bulle temporaire où les barrières sociales tombent.
Le rapport aux autres y est souvent plus simple. Les gens se parlent plus facilement, même entre inconnus, et il y a une sorte de liberté dans l’interaction qu’on retrouve rarement ailleurs. Il y a aussi une grande mixité dans les publics, à la fois en termes d’âge, d’origine sociale ou géographique. C’est ce qui ressort des nombreux témoignages. Dans un monde de plus en plus numérisé, ce sont aussi des lieux où l’on peut encore vivre des choses « pour de vrai » dans une intensité qu’on ne retrouve pas dans les interactions digitales.
« Le festival agit comme un accélérateur de lien et d’engagement »
En quoi l'engagement bénévole contribue à la vie associative locale ?
Les festivals créent une cohésion sociale locale. Ils permettent à des habitants d’un même territoire de se rencontrer, d’agir ensemble, et de s’approprier un projet collectif. C’est très visible chez les bénévoles, mais aussi au sein des associations partenaires, des commerçants, des techniciens, ou même des habitants qui hébergent des festivaliers.
Puis, je pense que le festival agit comme un accélérateur de lien et d’engagement. Il permet à des personnes qui ne s’étaient jamais engagées de découvrir le fonctionnement associatif, souvent dans un cadre festif, donc qui passe beaucoup mieux pour des jeunes. Ils sont nombreux à vivre leur première expérience associative grâce au bénévolat. Pour certains, un festival peut devenir un sas d’entrée vers la vie associative.
Vous mentionnez des festivals engagés dans des démarches durables. Quel rôle jouent les bénévoles dans ces transitions ?
C’est une tendance très claire dans laquelle les bénévoles jouent un rôle clé dans la mise en œuvre de ces engagements durables. C’est eux qui s’assurent du tri des déchets, qui accompagnent les festivaliers vers les bons gestes, la gestion des toilettes sèches, la distribution des éco-cups, etc.
Néanmoins, leur rôle va au-delà de la logistique. Beaucoup de festivals prennent soin de former les bénévoles à ces questions, de les sensibiliser, etc., ce qui permet de les impliquer plus dans la démarche.
Est-ce qu'au fond, pour certains, le bénévolat ne serait pas surtout une manière d’avoir accès à un festival gratuitement et de profiter des avantages ?
C’est une question tout à fait légitime, et il ne faut pas éluder cet aspect. Il y a évidemment des bénévoles qui s’engagent avant tout pour vivre le festival autrement, accéder aux concerts gratuitement, profiter des repas offerts, des campings réservés ou de certains espaces privilégiés. Et c’est compréhensible, notamment pour les étudiants ! Il faut rappeler que beaucoup de festivals coûtent très cher (surtout les plus gros).
Mais réduire l’engagement bénévole à cette seule motivation serait très réducteur. Ce qu’on a observé à travers nos entretiens, c’est que ces motivations dites « opportunistes » cohabitent très souvent avec d’autres dimensions tout aussi importantes : le sentiment de participer à quelque chose, la fierté de contribuer à la réussite d’un événement, le lien social fort avec les autres bénévoles.
Est-ce que s’engager en tant que bénévole peut constituer une sorte de stage déguisé ?
C’est une expression qu’on entend parfois, et qui peut effectivement décrire certaines situations. Pour certains étudiants, surtout dans des filières orientées vers les métiers de la culture ou de la communication, le bénévolat est aussi perçu comme une opportunité de mettre un pied dans un secteur. Mais attention : un bénévole n’est pas un stagiaire. Il n’y a pas de cadre formel, pas de convention, pas d’obligation de formation ou d’encadrement. Cela peut être une richesse – plus de liberté, plus d’autonomie – mais aussi une limite si l’organisation n’accompagne pas bien les jeunes.